mardi 14 avril 2015

Les articles 54.1 et suivants C.p.c. permettent aux tribunaux québécois de circonscrire les débats

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Je discute régulièrement avec vous de l'éventail de pouvoirs et de possibilités qui s'offrent aux tribunaux québécois en vertu des articles 54.1 C.p.c. et suivants. Parmi ces pouvoirs est celui de circonscrire les débats. Dans Tremblay c. Uehlinger (2015 QCCS 1416), l'Honorable juge Simon Ruel met en application ce pouvoir en retranchant des allégations et conclusions jugées complètement étrangères au vrai débat.
 


Dans cette affaire, les Demandeurs ont déposé une requête introductive d'instance en injonction permanente pour faire cesser le dénigrement à leur égard par le Défendeur, pour faire fermer son site internet et obtenir le montant de 99 000$ en dommages.
 
Ils allèguent que le Défendeur est l’auteur d’un site internet lancé à la fin de 2011 sur lequel il publie des informations et documents concernant la qualité de l’eau et la protection du Lac Coulombe. 
 
Le Défendeur conteste ces procédures et plaide qu’il a parfaitement le droit de sensibiliser la population au sujet des questions environnementales concernant le Lac Coulombe, même s’il utilise des propos et images qui peuvent apparaître choquants. Il invoque sa liberté d’opinion et d’expression.
 
Au moyen d'une requête formulée en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c. il demande le rejet du recours entrepris.
 
Le juge Ruel, après étude de l'affaire, en vient à la conclusion que le rejet du recours ne peut être accordé à un stade préliminaire en l'absence de conviction qu'il n'a aucune chance de succès ou qu'il procède d'un abus caractérisé. Par ailleurs, il est d'opinion qu'il y a lieu de circonscrire les débats et éliminer plusieurs questions étrangères aux vrais enjeux:
[28]        Il existe un conflit larvé entre les parties qui date de plusieurs années. Les procédures déposées par les demandeurs dans le présent dossier sont teintées de reproches et contiennent une série d’allégations et de faits non pertinents au litige central entre les parties. 
[29]        Néanmoins, sur le fond de l’affaire, le dossier soulève des questions liées à l’utilisation de plateformes internet par les citoyens pour faire valoir des points de vue, notamment sur des questions d’environnement. Les droits et les limites de la liberté d’opinion et d’expression sont en cause.  
[30]        Si le Tribunal en venait à la conclusion que le défendeur a abusé de sa liberté d’opinion de manière à porter préjudice aux propriétaires riverains, en dépeignant de manière fausse ou exagérément défavorable la qualité de l’eau et de l’environnement du Lac Coulombe, il est envisageable que ces actions aient pu avoir un impact sur la valeur économique des terrains et sur la capacité de vendre des propriétaires. 
[31]        Par ailleurs, les demandeurs suggèrent que le défendeur a pris des actions malveillantes visant à faire fermer le Lac Coulombe en transmettant à l’inspecteur municipal un échantillon contaminé. La preuve reste à faire sur ce point, mais les rapports du MDDEP semblent soutenir la thèse des demandeurs que l’échantillon transmis par le défendeur ne reflétait pas la réalité. 
[32]        Sur sa requête en rejet pour abus de procédure, le défendeur convie le Tribunal à un exercice d’analyse détaillée de la preuve versée au dossier. La preuve est fragmentaire à ce stade et le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer si les demandeurs réussiront ou non à étayer leurs allégations lors du procès. 
[33]        Le Tribunal n’est donc pas convaincu que le recours des demandeurs est manifestement mal fondé ou qu’ils tentent de détourner les fins de la justice. 
[34]        Cependant, sans rejeter un recours, le Tribunal peut, en vertu de l’article 54.3 du Code de procédure civile, imposer des conditions strictes au déroulement de l’instance ou du procès à venir lorsqu’il constate éléments d’abus ou qu’il paraît y avoir abus.  
[...] 
[36]        Le Tribunal constate que les procédures déposées par les demandeurs sont échevelées et confuses. Elles contiennent certaines allégations non pertinentes, inutiles, vexatoires ou n’ayant aucune chance de succès. 
[37]        Le Tribunal émettra donc des balises claires quant au déroulement des prochaines étapes au dossier en application de l’article 54.3 du Code de procédure civile
[38]        De l’avis du Tribunal, les questions en litige dans le présent dossier sont les suivantes : 
1.    Le défendeur a-t-il publié des informations fausses ou trompeuses sur son site internet concernant la qualité de l’eau et du milieu aquatique du Lac Coulombe, ou autrement utilisé son site internet de manière à nuire aux propriétaires riverains du lac?  
2.    Le défendeur a-t-il agi de manière fautive en ce qui concerne la prise d’échantillons au Lac Coulombe à l’été 2012, dont l’analyse a donné lieu à une interdiction de baignade et de consommation de poisson en raison d’une contamination de coliformes fécaux?  
3.    Quels sont les dommages qui ont été causés aux demandeurs, le cas échéant?  
4.    Le Tribunal doit-il faire droit à la demande d’injonction permanente visant à faire fermer le site internet du défendeur intitulé « LAC COULOMBE les dangers qui le guettent »? 
[39]        Les demandeurs devront donc se conformer à ce cadre dans la poursuite de l’instance et du procès à venir. 
[40]        Le Tribunal ordonne la radiation des allégations, conclusions et paragraphes suivants de la Requête introductive d’instance qu’il juge non pertinents, abusifs ou qui ne peuvent donner ouverture à quelque ordonnance du Tribunal sur la base des faits énoncés :  
(...) 
[41]        Le Tribunal interdit aux demandeurs de dénigrer le défendeur dans le cadre de l’instance et du procès, notamment en l’affublant du qualificatif de « comédien ». 
[42]        Quant aux témoins que les demandeurs pourront faire entendre au procès, sujet aux directives additionnelles du juge coordonateur du District d’Arthabaska ou du juge du procès, ils devront s’en tenir à la liste suivante et s’abstenir d’assigner tout autre témoin :
(...)

Référence : [2015] ABD 147

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