lundi 20 avril 2015

À moins de circonstances évidentes, c'est à l'arbitre et non pas le tribunal saisi d'une demande de renvoi à l'arbitrage de décider si le contrat qui contient la clause compromissoire est un contrat d'adhésion

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

En principe, il revient à un arbitre de trancher sur sa propre compétence. Dans l'affaire Dell, la Cour suprême du Canada a donné des enseignements assez clairs sur les circonstances où le tribunal saisi de la demande de renvoi à l'arbitrage peut se pencher - exceptionnellement - sur la validité de la clause compromissoire, i.e. essentiellement lorsqu'il s'agit d'une question qui ne nécessite pas d'analyse factuelle. Ainsi, comme le souligne la Cour d'appel dans Groupon Canada inc. c. 9178-2243 Québec inc. (2015 QCCA 645).
 


L'Appelante se pourvoit dans cette affaire à l'encontre d'un jugement de première instance qui a rejeté sa requête pour faire renvoyer le litige entrepris devant un arbitre en Illinois conformément à la clause compromissoire contenue dans l'entente entre les parties.
 
Le juge de première instance en est venu à cette conclusion au motif que la clause était selon lui contenue dans un contrat d'adhésion et abusive.
 
L'Appelante fait valoir que le juge a erré en ne laissant pas l'arbitre statuer sur sa propre compétence puisque la détermination du caractère d'adhésion du contrat et du caractère abusif de la clause sont des questions qui nécessitaient l'analyse d'une preuve.
 
Une formation unanime de la Cour composée des Honorables juges Bich, Kasirer et Gagnon donne raison à l'Appelante et rappelle que c'est à l'arbitre de statuer sur sa compétence à moins que les circonstances étroites décrites dans l'affaire Dell sont présentes:
[15]        Comme l’enseignent les juges majoritaires dans l’affaire Dell Computer c. Union des consommateurs, il existe un nombre restreint de situations où la dérogation à la « règle générale » du renvoi systématique à l’arbitrage est permise (Dell, paragr. [84]). Si la contestation requiert l’administration d’une preuve factuelle, le tribunal devra normalement renvoyer l’affaire à l’arbitre. Toujours dans Dell, la juge Deschamps écrit que « [p]our les questions mixtes de droit et de fait, le tribunal saisi de la demande de renvoi devra favoriser le renvoi, sauf si les questions de fait n’impliquent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier » (Dell, paragr. [85]). 
[16]        Or, le juge administre et examine une preuve non documentaire afin de déterminer si l’Accord doit être considéré comme un contrat d’adhésion, notamment le témoignage du président de l’intimée dans lequel ce dernier affirme que la clause 7 du contrat n’a pas été librement discutée. Cette même preuve permet au juge, aussi, de constater le caractère supposément abusif du choix des parties de tenir l’arbitrage à Chicago et le préjudice qui en résulterait pour l’intimée. 
[17]        Avec égards, le juge aurait dû renvoyer le litige à l’arbitre afin de laisser à ce dernier le soin de se prononcer sur sa propre compétence. C’est l’arbitre, et non le tribunal, qui devait décider si l’Accord est un contrat d’adhésion, et c’est l’arbitre, et non le tribunal, qui devait trancher la question concernant son prétendu caractère abusif. 
[18]        Contrairement à ce qu’écrit le juge au paragraphe [42], la question de savoir si l’Accord est un contrat d’adhésion n’est pas une question de droit. Avant de se prononcer sur ce point, le juge devait considérer certains faits se rapportant à la négociation du contrat, dont la pertinence de l’affirmation du président de l’intimée que la clause n’a pas été librement discutée. Le juge ne pouvait pas, non plus, tirer la conclusion que la clause en question est « incompréhensible / incomprehensible » au sens de l’article 1436 C.c.Q. sans déborder le cadre de ce que la juge Deschamps désigne comme « un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier ». 
[19]        De la même manière, le constat, par le juge, que la clause est abusive au sens de l’article 1437 C.c.Q. est une conclusion qui soulève des questions mixtes de droit et de fait. Normalement, écrit la Juge en chef McLachlin pour la majorité dans Rogers Sans-fil inc. c. Muroff, qualifier une clause d’abusive exige « un examen minutieux des faits » plutôt qu’un examen superficiel de la preuve documentaire. Là encore, compte tenu de « l’étendue de l’analyse » (Rogers Sans-fil, paragr. [9]) que le tribunal de première instance doit effectuer lorsque la validité d'une clause d'arbitrage est contestée en vertu de l’article 940.1 C.p.c., le juge devait privilégier le renvoi du litige à l’arbitre, ce qu’il n’a pas fait. 
[20]         Malgré ce que le juge considère comme le caractère confus de la clause d’arbitrage, il n’y avait pas matière à déroger à la règle exprimée à l’article 943 C.p.c. selon laquelle toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être décidée par ce dernier conformément au principe de compétence-compétence. Le juge ne pouvait prononcer la nullité de la clause. Certes, les articles 2639, 2640 et 2641 C.c.Q. prévoient des illustrations de situations qui permettent aux tribunaux de se prononcer immédiatement sur la nullité d’une convention d’arbitrage, mais ils n’ont pas application en l’espèce.
Référence : [2015] ABD 156

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