samedi 28 mars 2015

Par Expert: les principes applicables à l'interrogatoire au préalable de l'expert

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Nous avons déjà indiqué que l'interrogatoire au préalable d'un expert est possible dans certaines circonstances. Or, vous savez à quel point j'aime les jugements qui font la synthèse d'un point de droit donné. C'est le cas de la décision rendue par l'Honorable juge Alain Michaud dans Guay inc. c. Payette, 2015 QCCS 1134 où il traite de la question de l'interrogatoire préalable de l'expert.



Dans cette affaire, les Défendeurs, poursuivis en dommages pour la somme de 66 M $, demandent la permission d’interroger avant défense l’expert comptable de la Demanderesse et d’obtenir – avant l’interrogatoire – toute la documentation qui lui a été remise aux fins de la préparation de son rapport d’expertise du 28 mars 2014.

C'est dans ce contexte que le juge Michaud fait la synthèse des principes applicables en la matière:
[11]        La doctrine et la jurisprudence conviennent que le droit à l’interrogatoire d’un tiers est un droit d’exception, qui n’existe que s’il est autorisé par le tribunal, et seulement dans la mesure et le cadre fixés par ce dernier. 
[12]        L’auteur Jean-Claude Royer soumet à cet effet que les articles 397(4) et 398(3) C.p.c. sont de droit récent et destinés à permettre une plus grande divulgation de la preuve, devant donc être interprétés libéralement. Il souligne que l’autorisation du tribunal doit toutefois être fondée sur des motifs valables: 
606       […] En cette matière, chaque cause est un cas d’espèce. Toutefois, la seule prétention qu’une personne est au courant de certains faits et que la partie a intérêt à l’interrogatoire n’est pas suffisante. La partie qui désire interroger un tiers doit alléguer des faits spécifiques et donner des raisons particulières justifiant l’autorisation du tribunal.  
[…]  
Une partie peut interroger un expert qui a une connaissance personnelle des faits se rapportant au litige, mais elle ne peut le contraindre de remettre son rapport, délivrer son opinion ou encore de révéler les étapes de son enquête.  
(nous soulignons) 
[13]        En 2002, le juge Paul Chaput examine une demande visant à interroger l’expert du défendeur, et réfère en cela au traité de Ducharme sur L’administration de la preuve, qui rapporte les règles applicables dans le même sens que l’auteur Royer. La décision du juge Chaput se résume à ce qui suit : 
[8]         Au soutien de la requête, l'avocat des demandeurs a présenté plusieurs autorités dont les arrêts suivants:  
Compagnie d'assurance Reliance c. Hôtel Central (Victoriaville) Inc., J.E. 99-682 (C.A.); Compagnie d'assurance Missisquoi c. Giguère, J.E. 99-683 (C.A.) et Kamyr of Canada Ltd. c. Donohue St-Félicien Inc., J.E. 2001-606 (C.A.).  
[9]         Selon les enseignements de la Cour d'appel, il y a lieu d'autoriser l'interrogatoire de l'expert sur les éléments factuels sur lesquels il se fonde pour formuler son opinion.  
[…]  
[12]      Certes, à l'interrogatoire au préalable, il ne saurait être question d'interroger l'expert sur son opinion ou le cheminement intellectuel qui l'y a amené. […]  
[…]  
[13]      Mais, dans la mesure où l'expert se base sur des faits portés à sa connaissance, notamment des données comptables comme en l'espèce, rien ne s'oppose à ce qu'il soit interrogé au préalable.  
[…]  
[15]      Il y a d'ailleurs un avantage évident à ce que les données comptables soient divulguées aux(sic) préalable. On évite ainsi de mettre en preuve, au procès, des éléments qui pourraient appeler un nouvel examen d'experts, et le report du procès ou la suspension de l'audience. C'est là saine administration de la justice dans le sens indiqué par la Cour d'appel dans l'arrêt Reliance cité ci-devant.  
(nous soulignons) 
[14]        En 2005, le juge Gratien Duchesne – appelé à traiter le même genre de situation – tranche la question de la même façon : 
[11]      L'expert rend un témoignage d'opinion pour éclairer le Tribunal sur différents aspects du litige.  Il n'est généralement pas un témoin de fait.  
[12]      Cependant, il se forme une opinion sur la base d'analyses de faits portés à sa connaissance.  La preuve de ces faits et les sources de ceux-ci deviennent pertinentes pour établir la crédibilité de l'expert et de l'opinion qu'il exprime.  Par exemple, s'il base une conclusion de son rapport sur des analyses statistiques, la production de celles-ci est requise pour doser la qualité de l'opinion.  
[13]      Doit-on attendre l'étape de l'audience du mérite pour permettre à la partie adverse de départager ce qui constitue pour l'expert l'expression d'une opinion basée sur des faits, d'une déclaration de fait qui prendrait l'allure d'une opinion sans en être une ?  De l'avis du Tribunal, l'esprit du législateur sous-jacent à l'article 397 (4) C.p.c. favorise plutôt la thèse de l'interrogatoire à caractère exploratoire permettant la divulgation la plus complète possible des faits en litige pour favoriser la préparation d'une défense pleine et entière et d'expertises reliées directement au sujet dont traite l'expert de la demande tout en évitant que l'interrogatoire préalable ne se transforme en aventure inopinée dans les affaires du demandeur.  
[…]  
[16]      L'interrogatoire préalable de l'expert ne pourra porter ni sur son opinion ni sur son cheminement intellectuel qui l'a conduit à ses conclusions.  On pourrait demander à l'expert dans le cadre de l'interrogatoire préalable si une déclaration relative à une question en litige est l'expression de son opinion ou plutôt la constatation d'un ou des faits auquel cas l'interrogatoire sera permis pour explorer davantage les faits au soutien d'une telle déclaration.  
(nous soulignons) 
[15]        Toutefois, comme le rappelle Jean-Claude Royer, la partie qui désire interroger un tiers « doit alléguer des faits spécifiques et donner des raisons particulières justifiant l’autorisation du tribunal », à défaut de quoi la demande présentée au juge sera refusée. 
[16]        L’interrogatoire réclamé ne pourra pas servir, non plus, à obtenir davantage de détails sur la méthodologie adoptée par l’expert pour parvenir à sa conclusion.
Référence : [2015] ABD Expert 13

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