Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'expert donne par définition à la Cour un témoignage d'opinion, alors que les interrogatoires préalables visent à obtenir la divulgation la plus complète possible des faits en litige. L'on pourrait donc croire que l'expert ne peut être interrogé au préalable. Ce n'est pourtant pas le cas, puisque l'expert pourra être interrogé au préalable sur des questions factuelles comme l'indiquait la Cour supérieure dans Tarazi c. Leroux (2002 CanLII 30486).
Dans un litige portant sur la quote-part du prix de vente d'une unité de condo, le Défendeur réclame la somme de 105 260 $ pour perte d'opération. Il dépose d'ailleurs une expertise pour supporter cette réclamation.
Les Demandeurs désirent interroger l'expert du Défendeur au préalable. Ils justifient cette demande comme suit:
«Tel qu'il appert du rapport d'expert du défendeur, celui-ci affirme s'être basé sur certaines documentations comptables relatives auxdites unités de condominium qui lui auraient été fournies par Normand Leroux pour en arriver au montant maintenant réclamé des demandeurs;
Les demandeurs désirent interroger l'expert du défendeur relativement à la documentation et aux renseignements sur lesquels il s'est basé pour préparer son rapport et pour obtenir communication et copie de ladite documentation.»
Après analyse de la jurisprudence pertinente, l'Honorable juge Paul Chaput en vient à la conclusion que la requête des Demandeurs est bien fondée et qu'il est possible d'interroger un expert au préalable sur des éléments factuels:
[10] Se référant au traité de Ducharme, L'Administration de la preuve, les intimés soutiennent que c'est par exception que l'expert peut être interrogé au préalable :
En règle générale, le droit d'une partie à la divulgation avant l'enquête de l'information dont il a besoin pour évaluer la preuve de la partie adverse et préparer la sienne ne va pas jusqu'à lui permettre d'obtenir l'autorisation d'assigner un témoin expert de la partie adverse pour interrogatoire. Cette règle souffre exception, toutefois, lorsqu'une partie entend produire un examen polygraphique pour établir sa crédibilité, la Cour d'appel ayant reconnu que, dans un tel cas, la partie adverse a le droit de soumettre l'expert à un interrogatoire afin de connaître dans quelles conditions l'examen a été tenu. Un régime particulier s'applique également dans le cas de l'expert en sinistre. On a vu que, dans les litiges opposant un assureur à son assuré, l'expert qui a agi à la demande de l'assureur peut être qualifié d'«agent» et être, en conséquence, interrogé de droit à ce titre par l'assuré sur les faits qu'il a personnellement constatés, mais non sur le contenu de son rapport à l'assureur. Lorsqu'un assureur exerce un recours récursoire contre un tiers après avoir indemnisé un assuré, le tribunal pourra permettre, sous les mêmes conditions, que ce tiers interroge l'expert en sinistre qui a fait enquête concernant la réclamation de l'assuré. Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'une personne a produit un rapport en tant qu'expert ou encore parce qu'elle a les qualifications requises pour agir en tant qu'expert qu'il devient impossible, avec la permission du tribunal, de l'assigner pour un interrogatoire préalable. Sur démonstration que le témoignage de cette personne est nécessaire pour obtenir la divulgation des faits essentiels, rien ne s'oppose à ce que l'autorisation requise soit accordée.
[11] Ducharme formule la règle générale qui souffre exception et convient, à la fin, que le tribunal peut, selon les circonstances, autoriser l'interrogatoire au préalable de l'expert.
[12] Certes, à l'interrogatoire au préalable, il ne saurait être question d'interroger l'expert sur son opinion ou le cheminement intellectuel qui l'y a amené. Aussi, l'interrogatoire de l'expert ne va pas jusqu'à l'examen de documents qui seraient confidentiels, comme l'écrit le juge Dubé dans l'arrêt Gerling Global Cie d'assurance générale c. Sanguinet Express Inc. et Diffusion B.L.E. Ltée :
«À mon avis, il y a une grande différence entre les relations du sous-ministre du Revenu qui réclame de l'impôt à un contribuable et les relations entre un individu qui réclame paiement d'une compagnie d'assurance; le rapport de l'employé du ministère des Finances sera purement un rapport technique tandis que les rapports d'un ajusteur d'assurance peuvent contenir plusieurs rapports confidentiels sur la valeur morale d'un ou de plusieurs individus, sur des soupçons plus ou moins fondés dont les avocats doivent analyser la valeur pour guider leurs clientes.
[13] Mais, dans la mesure où l'expert se base sur des faits portés à sa connaissance, notamment des données comptables comme en l'espèce, rien ne s'oppose à ce qu'il soit interrogé au préalable.
Référence: [2014] ABD Expert 8
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