mercredi 25 mars 2015

Le tiers qui demande la rétractation d'un jugement doit démontrer qu'il n'avait pas connaissance des procédures judiciaires qui ont mené au jugement

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Si l'article 489 C.p.c. permet à un tiers qui subit préjudice d'un jugement d'en demander la rétractation, certaines conditions s'imposent quant à l'ouverture d'un tel recours. En effet, l'on ne saurait permettre un trop grand accroc au principe de la stabilité des jugements. C'est pourquoi - comme le souligne l'Honorable juge Clément Trudel dans Caisse Desjardins Pierre-Le Gardeur c. Hottin (2015 QCCS 1167) - le tiers qui recherche la rétractation d'un jugement doit démontrer qu'il n'avait pas connaissance de l'existence des procédures qui ont donné lieu audit jugement.



Dans cette affaire, la Requérante demande la rétractation d'un jugement en délaissement forcé et en prise en paiement rendu en faveur de la Demanderesse. Elle allègue être maintenant propriétaire de l'immeuble pris en paiement et donc subir un préjudice important du jugement rendu.

La Demanderesse s'oppose à cette demande au motif que la Requérante est réputée avoir eu connaissance de son préavis d'exercice de droit hypothécaire et donc qu'elle aurait dû agir plus tôt pour protéger ses droits.

Le juge Trudel fait une revue de la jurisprudence pertinente et en vient à la conclusion que le tiers qui recherche la rétractation de jugement doit satisfaire la Cour qu'il n'avait pas connaissance de l'existence des procédures judiciaires qui ont donné lieu au jugement: 
[28] L’article 489 C.p.c. formule la règle qui constitue l’application du principe exprimé par l’article 5 C.p.c. :
489. Toute personne dont les intérêts sont affectés par un jugement rendu dans une instance où ni elle ni ses représentants n'ont été appelés, peut, par requête au tribunal qui l'a rendu, demander qu'il soit rétracté en autant qu'il préjudicie à ses droits. 
La requête doit être signifiée à toutes les parties en cause, ou, si elle est faite moins d'une année après le jugement, aux procureurs qui les représentaient dans l'instance; elle n'opère sursis de l'exécution que si un juge l'ordonne.
[29] L’arrêt Begama Ltd. c. St-Georges de la Cour d’appel enseigne que la recevabilité d’une tierce opposition est fonction de deux critères : « le jugement doit affecter les intérêts du tiers opposant et ce dernier ne doit pas avoir été appelé au procès ». 
[30] Par ailleurs, la Cour d’appel dans l’arrêt McCain Foods Limited c. Les Distributions Blé d’Or inc., après avoir rappelé les critères énoncés à l’article 489 C.p.c., rappelle avoir « décidé à plusieurs reprises que lorsque le tiers opposant a connu l’instance principale en temps utile et n’y est pas intervenu, son droit à la tierce opposition est éteint, périmé, et tardif… » 
[31] Dans l’affaire Ladouceur c. Maurice, la juge Johanne Trudel, alors à la Cour supérieure, résume ainsi les règles applicables en la matière :
« 37. Le principe, qui fonde cette règle est fort simple: aucun jugement ne doit disposer des droits d'un tiers sans qu'il n'ait été entendu ou dûment appelé. C'est là le véritable sens de l'article 5 C.P. précité. 
38. L'arrêt Bégama cité ci-dessus énonce clairement que la recevabilité d'une tierce opposition est fonction de deux critères: le jugement doit affecter les intérêts du tiers opposant et ce dernier ne doit pas avoir été appelé au procès. 
39. Ainsi, pour rejeter une tierce opposition, il faudra trouver au dossier des faits ou circonstances non équivoques qui constituent une forclusion ou une renonciation tacite à la tierce opposition, et tout doute sur l'étendue de cette renonciation doit s'interpréter en faveur d'ester en justice. 
(référence omise) »
[32] Ainsi, pour rejeter une tierce opposition, une fois les deux critères satisfaits, le dossier doit révéler des faits ou circonstances non équivoques emportant forclusion ou renonciation tacite à la tierce opposition et tout doute sur l’étendue de cette renonciation doit s’interpréter en faveur de l’exercice du droit d’ester en justice.
C'est parce qu'il en vient à la conclusion que la Requérante n'avait pas connaissance des procédures en délaissement forcé que le juge Trudel accueille la demande en rétractation.

Référence : [2015] ABD 120

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.