jeudi 19 mars 2015

La personne qui se qualifie à titre de tiers de bonne foi en matière de simulation

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

En matière de simulation, l'article 1452 C.c.Q. prévoit que le tiers de bonne foi peut se prévaloir de l'acte apparent ou de la contre-lettre. La question est par ailleurs celle de déterminer qui se qualifie de tiers de bonne foi au sens de cet article. Dans Banque Toronto-Dominion c. Lapierre (2015 QCCS 1014), l'Honorable juge Stéphane Sansfaçon traite de la question.
 

 
Dans cette affaire, la Demanderesse intente des procédures civiles contre la Défenderesse en recouvrement d'un prêt garanti par hypothèque sur un immeuble. La Défenderesse conteste ce recours pour plusieurs motifs, dont le fait qu'il existe une contre-lettre qui révèle qu'elle n'a jamais été propriétaire de l'immeuble en question.
Se pose donc la question de savoir si la Demanderesse est un tiers de bonne foi au sens de l'article 1452 C.c.Q., dans quel cas elle peut choisir de ce prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre.
Cela amène le juge Sansfaçon à réviser la jurisprudence pertinente sur la question. Il souligne à cet égard que le tiers de bonne foi ne doit pas seulement avoir ignoré la simulation, mais également avoir pris une décision qui lui serait préjudiciable s'il ne bénéficiait pas de l'option de choisir l'acte apparent ou la contre-lettre. Or, c'est le cas en l'espèce pour la Demanderesse:
[85]        Madame Lapierre plaide qu'elle est en droit de prétendre qu'elle n'est pas liée par le contrat de prêt, puisque la Banque a été avisée du fait qu'elle n'était pas la véritable propriétaire de l'immeuble de Saint-Lin lors de la rencontre du 26 février 2007 à la Banque. La Banque rétorque que, puisqu'elle ignorait l'existence de l'acte de simulation, elle est en droit de l'ignorer. 
[86]        Les articles 1451 et 1452 C.c.Q. prévoient ce qu'est le contrat de simulation et ses effets entre les parties et à l'égard des tiers : 
1451. Il y a simulation lorsque les parties conviennent d'exprimer leur volonté réelle non point dans un contrat apparent, mais dans un contrat secret, aussi appelé contre-lettre.  
Entre les parties, la contre-lettre l'emporte sur le contrat apparent.  
1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré. 
[87]        Dans Descoteaux c. Stuart, le Tribunal décrivait comme suit l'approche qui doit être préconisée afin de déterminer qui peut être considéré « tiers de bonne foi » au sens de l'article 1452 C.c.Q. : 
[43]        La Cour d'appel du Québec a déjà décidé qu’en certaines circonstances, le tribunal doit s’aviser de ne pas appliquer aveuglément l’article 1453 C.c.Q. et doit d’abord vérifier si l'opération en cause est autre chose qu’un trompe-l'œil et s’assurer que l’acte caché a réellement causé un préjudice au tiers qui voudrait se prévaloir de l'acte apparent. Dans certaines circonstances, le tiers, même de bonne foi, pourra ne pas posséder l’intérêt requis pour se prévaloir du droit conféré par l’article 1452 C.c.Q.  
[44]        La protection accordée au tiers de bonne foi par cet article lui permet de choisir entre l'acte apparent ou l'acte caché, selon l’option qui lui est la plus avantageuse, l’autre acte lui devenant par conséquent inopposable.  
[45]        La difficulté consiste donc à définir qui peut se qualifier de tiers de bonne foi au sens de cet article. Un tiers peut-il s’objecter à la recevabilité en preuve de l’information contenue à un tel acte alors que ce tiers n’en souffre nullement et qu’il n’a pas pris de décision désavantageuse dans l’ignorance de l’acte simulé?  
[46]        Il est indéniable que le tiers de bonne foi à qui on a caché la vérité et qui a pris en conséquence une décision qui lui est préjudiciable, pourra choisir lequel des deux actes lui sera opposable, en fonction de ce qui lui sera le plus avantageux. L’objectif de la loi est de protéger celui qui a agi dans l’ignorance de la vérité. Une personne a le droit de simuler, mais elle devra en assumer les conséquences si un tiers dans l’ignorance de la vérité prend une décision qu’il n’aurait pas prise s’il avait eu connaissance de l’acte caché.  
(références omises) 
[88]        En l'espèce, et tel que nous l'avons déjà déterminé, la preuve a démontré qu'aucun officier de la Banque n'a été informé de la simulation au moment de l'octroi du prêt, et que cela n'a été porté à sa connaissance qu'après que M. Ugurluoglu et Mme Gunduz eurent quitté le Canada. 
[89]        Le notaire n'a pas informé la Banque de la simulation. Or, on ne peut conclure que parce que le notaire la connaissait, la Banque serait présumée en avoir eu connaissance, car le notaire n'agissait pas, lors de la signature de l'acte hypothécaire, à titre de représentant de la Banque, ce rôle appartenant alors à Mme Patricia Pasqua, laquelle avait pré-signé l'acte hypothécaire avant sa transmission au notaire. Le mandat qu'exécutait le notaire se limitait donc à accomplir ses obligations légales de notaire. 
[90]         Par conséquent, la Banque peut ici certainement être qualifiée de tiers de bonne foi au sens de l'article 1452 C.c.Q. Elle peut donc ignorer l'acte de simulation et se prévaloir du contrat apparent, et considérer que Mme Lapierre est la véritable propriétaire de l'immeuble de Saint-Lin, du moins avant sa vente sous contrôle de justice.
Référence : [2015] ABD 112

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