mercredi 18 février 2015

Une fois qu'une partie a obtenu le renvoi d'une cause en arbitragre, elle ne peut ensuite revenir sur sa décision et s'adresser aux tribunaux

par Karim Renno
Renno Vathilakis Inc.

Lorsqu'une partie à une clause compromissoire demande le renvoi d'un litige à l'arbitrage et qu'elle obtient gain de cause, les tribunaux québécois perdent la compétence ratione materiae sur le litige. Il s'en suit que la partie qui a demandé le renvoi à l'arbitrage ne peut alors changer d'idée et retourner devant les tribunaux. L'affaire Domtar inc. c. Eacom Timber Corporation (2015 QCCS 305) traite de cette question.
 


Dans cette affaire, la Demanderesse intente une action sur compte contre la Défenderesse au montant de 904 000,00 $. Elle demande également de déclarer que la Défenderesse a reconnu devoir la somme réclamée qui sera payable quand une décision aura été rendue dans l'arbitrage qui se déroule entre les parties.
 
La Défenderesse demande le rejet du recours au motif qu'il est du ressort exclusif de l'arbitre. D'ailleurs, la Défenderesse soumet que c'est la Demanderesse elle-même qui a demandé le renvoi du différend entre les parties à l'arbitrage.
 
L'Honorable juge André Denis accueille l'exception déclinatoire de la Défenderesse. Ce faisant, il indique que la Demanderesse ne peut - après avoir demandé et obtenu le renvoi à l'arbitrage - s'adresser maintenant aux tribunaux:
[13]        L’affaire ne cesse d’étonner par un curieux retour des choses. 
[14]        Une convention intervient entre les parties à laquelle est intégrée une clause d’arbitrage. Domtar veut l’utiliser et Eacom s’y oppose. 
[15]        Cette Cour, par un excellent jugement du juge Benoît Emery dont il a le secret, confirme l’existence de la clause d’arbitrage. 
[16]        Insatisfaite, Eacom porte le jugement en appel et l’arrêt de la Cour d’appel confirme l’opinion du juge Emery. 
[17]        Il y aura donc arbitrage qui est déjà commencé, l’arbitre attendant notamment la décision de cette Cour dans la poursuite de Domtar. 
[18]        Bref, ce que souhaitait Domtar hier et était nié par Eacom est aujourd’hui renié par Domtar et souhaité par Eacom. 
[19]        C’est ce qui fait la beauté du droit. 
[20]        On l’a vu, une convention d’achat d’actifs (P-1) intervient entre les parties. La clôture de la transaction est fixée au 30 juin 2010. 
[21]        L’article 2.2 de la transaction P-1 veut que le prix d’achat doit être ajusté en fonction de la valeur du fonds de roulement à la date de la clôture de la transaction. 
[22]        Cet ajustement doit être calculé par Eacom et revu par Domtar. Après cette révision, Domtar établit la liste des «Disputed Matters» ou la liste des postes de désaccord dont l’appréciation sera soumise à l’arbitre. 
[23]        Certains postes de désaccord identifiés par Domtar à la pièce R-3 (ou P-8) sont aussi réclamés dans l’action sur compte du présent dossier. 
[24]        Tous les postes de désaccord ou «Disputed Matters» doivent être référés à l’arbitrage puisqu’ils auront un effet sur l’actif ou le passif de la compagnie et par voie de conséquence sur le fonds de roulement. 
[25]        Il est acquis en jurisprudence que les conventions d’arbitrage doivent recevoir une interprétation libérale. L’arbitre verra à exercer sa compétence conformément à l’article 943 C.p.c. 
[26]        Les tribunaux n’ont pas à se substituer à la règle de renvoi à l’arbitrage que les parties ont voulu. D’autant que celui-ci a déjà commencé à être entendu. 
[27]        Domtar ne peut à la fois choisir et refuser l’arbitrage au gré de ses intérêts. 
[28]        La requête pour renvoyer l’affaire devant l’arbitre est fondée.
Référence : [2015] ABD 70

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