Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Vous savez que j'aime les jugements qui exposent clairement le droit québécois applicable sur une question. C'est le cas de l'affaire Clinique Demeter inc. c. Ferme Porpo-Tech inc. (2015 QCCA 208) où la Cour d'appel indique quelle est la définition applicable à la faute lourde en droit québécois.
L'Appelante se pourvoit contre un jugement de première instance qui a rejeté son action en responsabilité civile à la suite de la perte des animaux lors d'un incendie ayant détruit le bâtiment dont l'Intimée était propriétaire.
L'Appelante fait valoir que le juge de première instance a erré en ne concluant pas à la faute lourde de l'Intimée.
Cela donne l'opportunité aux Honorables juges Pelletier, Vézina et Dufresne de rappeler quelle est la définition de la faute lourde en droit québécois:
[7] Dans Larrivée c. Murphy, la Cour, sous la plume du juge Morissette, circonscrit avec précision les caractéristiques de la faute lourde :
[43] La faute lourde, précise l’article 1471 C.c.Q., est celle « qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossières ». Dans ses rapports avec les appelants, Proteau a exercé son métier de planificateur financier d’une manière nettement déficiente, et cela à plusieurs égards, mais il s’agit d’une forme marquée d’incompétence et non de ce qui mérite le qualificatif de faute lourde. Pothier, je le rappelle, a déjà écrit sur le sujet une phrase prégnante qui traverse les âges et que la Cour suprême du Canada citait dans l’arrêt R. c. Canada Steamship Lines Ltd. La faute lourde, disait Pothier, est « celle qui consiste à ne pas apporter aux affaires d'autrui le soin que les personnes les moins soigneuses et les plus stupides ne manquent pas d'apporter à leurs affaires ». On voit donc qu’il s’agit d’une notion ancienne en droit civil, dont Pothier donnait déjà au dix-huitième siècle une définition, métaphorique certes, mais remarquablement expressive. Il faut se garder d’atténuer la robustesse ou la puissance d’évocation de cette métaphore en l’associant à des comportements qui, tout en engageant clairement la responsabilité de leur auteur, n’atteignent pas pour autant le degré d’insouciance, d’imprudence ou de négligence qu’on peut qualifier de grossières. La faute lourde se situe un cran au-dessous du comportement d’une personne irresponsable (au sens courant du terme – elle est parmi « les moins soigneuses ») et qui manque vraiment de jugement (elle est parmi « les plus stupides »). Sans vouloir provoquer ici une confusion des genres, je ferais un parallèle moderne avec la « personne crédule et inexpérimentée » dont la Cour suprême du Canada postule l’existence dans l’arrêt Richard c. Time Inc. Cette dernière est moins avertie et même plus démunie que la personne raisonnablement prudente et diligente, mais elle surpasse par ses moyens une personne qui se situe parmi les moins soigneuses et les plus stupides. Or, la faute lourde se place là où l’on a omis de faire ce que même cette personne parmi les moins soigneuses et les plus stupides aurait su à tout coup (« ne manque pas », écrit Pothier) qu’il fallait faire.
[Références omises]
Référence : [2015] ABD 59[8] Les fautes reprochées à l'intimée ne correspondent pas à cette description.
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