lundi 26 janvier 2015

Même la vente faite par un vendeur non-professionnel aux risques et périls de l'acheteur peut être annulée en cas de dol par omission

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La vente qui est faite aux risques et périls de l'acheteur écarte la presque totalité des protections juridiques dont bénéficie l'acheteur. Je dis bien la presque totalité parce que le vendeur ne peut pas non plus adopter un comportement qui contrevient aux principes de la bonne foi. Ainsi, comme l'indique l'affaire Law-Kam Cio c. Gakovic (2015 QCCS 225), l'acheteur pourra toujours obtenir l'annulation de la vente en cas de dol, même par omission.


Dans cette affaire, le Demandeur recherche l'annulation de son achat d'un immeuble acquis de la Défenderesse, en plus de dommages au montant de 112 324,06$. Le Demandeur allègue avoir été induit en erreur par la Défenderesse et son agent d’immeubles parce que ceux-ci ne l'ont pas informé que l’exploitation du commerce de la Défenderesse avait cessé depuis plus d’un an ce qui a eu pour conséquence la perte de droits acquis.

Saisie de l'affaire, l'Honorable juge Line Samoisette note que la vente, même si faite aux risques et périls de l'acheteur, peut être annulée en cas de dol. Elle cite plusieurs autorités à l'appui de cette conclusion:
[44]        Dans l'acte de vente, il est écrit concernant la garantie: « Cette vente est faite sans autre garantie que celle des faits personnels du vendeur quant à la garantie du droit de propriété et sans aucune garantie quant à tous défauts ou vices cachés, l'acheteur acceptant l'immeuble, à cet égard, à ses risques et périls ». 
[45]        Dans son volume Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service, l’auteur Me Jacques Deslauriers, traitant de la garantie conventionnelle écrit : 
« 402. En aucun cas, le vendeur ne peut éluder la garantie contre les atteintes au droit de propriété résultant de son fait personnel. Il s’agit d’une règle d’équité (art. 1732 C.c.Q.). Autrement, la vente serait sans objet et pourrait même constituer une fraude. » 
[46]        Plus loin, il écrit : 
« 403. (…) Un vendeur non professionnel pourrait tenter d’exclure sa garantie si un acheteur accepte d’acheter à ses risques et périls. Cependant, si le vendeur cache un vice de propriété qu’il connaît, l’acheteur pourra invoquer le dol ou prétendre qu’on lui a vendu le bien d’autrui. De plus, une exclusion de garantie n’est pas opposable dans le cas de négligence grossière, de faute intentionnelle ou de préjudice corporel (art. 1474 C.c.Q.). D’ailleurs, l’article 6 C.c.Q. précise que la bonne foi doit exister au moment du contrat et de son exécution. Le vendeur qui exclut sa garantie au sujet d’un défaut qu’il connaît n’est pas de bonne foi au moment du contrat; il commet une faute contractuelle et ne peut en de telles circonstances, prétendre être libéré de sa responsabilité contractuelle.   
(notre soulignement) 
[47]        Le professeur Pierre-Gabriel Jobin dans son volume sur la vente écrit : 
« 130 – Omission de déclaration par le vendeur – L’étude des conditions de la garantie contre une limitation de droit public montre que cette garantie est plus limitée qu’il n’y paraît à première vue. Elle est soumise à de nombreuses conditions qui en limitent la portée et donc la protection de l’acheteur. D’abord, le vendeur ne doit pas avoir dénoncé la violation lors de la vente, préférablement dans l’acte de vente (article 1725, alinéa 2). Cette disposition est une codification de la jurisprudence. En d’autres termes, le vendeur a l’obligation d’informer l’acheteur de toutes les violations. À cet égard, le régime particulier est en harmonie avec le régime général de la garantie (article 1723, alinéa 1). Cette première condition est toutefois restreinte par la seconde, selon laquelle une limitation dûment publiée ne donne pas ouverture à la garantie (article 1725, alinéa 2); on peut reformuler le règle en disant que le vendeur a l’obligation de dénoncer toutes les violations de restrictions de droit public sauf celles qui sont publiées.  
(notre soulignement) 
[48]        Dans le volume Les obligations, les auteurs Jobin et Vézina écrivent :  
«  223- Rapports entre dol et erreur – (…)  
Le dol est le fait de provoquer volontairement une erreur dans l'esprit d'autrui pour le pousser à conclure le contrat ou à le conclure à des conditions différentes. C'est donc l'acte, l’agissement qui provoque l'erreur. (…)  
(…)  
224 - Notion - Le droit cherche à réprimer le dol dans toutes ses manifestations. Ainsi, la réticence et le silence sont apparus dans les textes du Code civil depuis la réforme. La réticence est un dol négatif. Elle consiste à laisser le cocontractant croire une chose par erreur, sans le détromper, spécialement en ne lui dévoilant qu'une partie de la vérité. Le silence est le fait de s'abstenir de révéler au cocontractant un fait important qui changerait sa volonté de contracter. Dans les deux cas, le comportement est déloyal car il vise à amener l’autre partie à contracter malgré son ignorance ou à passer contrat à des conditions plus onéreuses qu’elle ne le ferait autrement. C’est une déloyauté par dissimulation. En pratique, cependant, on emploie « réticence » tantôt dans son sens propre, tantôt comme signifiant le silence. »  
(notre soulignement) 
[49]        Dans l’arrêt Girard c. Doiron, le vendeur avait omis de dévoiler que l’immeuble exploité comme résidence pour personnes âgées était en contravention avec la Loi sur la sécurité dans les édifices publics. La juge France Thibault, référant à l’affaire Kraus écrit : 
« Depuis cet arrêt, la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que les mesures de droit public qui limitent l'usage de la propriété doivent être dénoncées par le vendeur lorsqu'elles ne peuvent être découvertes par des signes objectifs découlant de la nature ou de la situation des lieux: »
Référence : [2015] ABD 35

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