Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'injonction interlocutoire doit être entendue le plus rapidement possible, c'est de sa nature même. Or, les règles pour la communication de la preuve dans le cadre d'une telle demande ne sont pas édictée clairement dans le Code de procédure civile, contrairement à l'action au mérite. C'est pourquoi la décision rendue récemment dans Thirau ltée c. Construction Valard (Québec) inc. (2014 QCCS 6045) est intéressant, puisqu'elle souligne l'importance pour la partie requérante de communiquer sa preuve le plus rapidement possible.
Dans cette affaire, les Demanderesses présentent une demande d'injonction provisoire, interlocutoire et permanente. La demande interlocutoire - qui nous intéresse ici - recherche une ordonnance interdisant aux Défendeurs ainsi qu'à tous leurs employés et représentants de retenir les services de tout employé non syndiqué ou de tout consultant des Demanderesses, ni de tenter d'inciter ces personnes à mettre fin à leur relation d'emploi avec les Demanderesses.
Un peu plus d'une semaine avant l'audition de la demande interlocutoire, les Demanderesses communiquent aux Défendeurs un avis de production d'une expertise informatique à être utilisée dans le cadre de l'audition interlocutoire.
Les Défendeurs jugent cette preuve tardive et en demandent le rejet.
Saisi de cette demande, l'Honorable juge Étienne Parent donne raison aux Défendeurs. Il souligne à cet égard que le législateur exige que la preuve en demande pour une injonction interlocutoire (ce qui inclut la demande d'injonction provisoire) soit communiquée dès que possible:
[27] La demande en injonction interlocutoire comporte intrinsèquement un caractère d'urgence. Elle doit être entendue rapidement. Le législateur a ainsi prévu la contestation orale. La preuve par affidavits détaillés est aussi prévue. Le législateur énonce l'obligation du demandeur de signifier avec sa demande les affidavits détaillés.
[28] Les parties sont aussi astreintes à une obligation de diligence à l'article 754.1 C.p.c. qui souligne l'obligation de signifier à la partie adverse « tous les documents qu'elles entendent invoquer lors de l'enquête et de l'audition dès que possible avant la présentation de la demande d'injonction interlocutoire ».
[29] Enfin, l'article 754.3 C.p.c. confère un pouvoir de gestion au tribunal, qui doit être lu en conjonction avec les articles 4.1 et 4.2 C.p.c.
[30] Cette approche du législateur, au stade interlocutoire, s'explique non seulement par le caractère urgent de la procédure mais aussi par le fait que l'apparence de droit constitue le seuil que doit rencontrer la partie demanderesse qui requiert l'injonction, en plus du critère du préjudice sérieux ou irréparable.
[31] La gestion de l'audition et les obligations imposées aux parties en l'espèce doivent s'analyser dans ce contexte.
[32] Conformément aux ordonnances prononcées, les parties ont indiqué clairement la nature de la preuve qu'elles entendaient administrer lors de l'audition de la requête en injonction interlocutoire.
[33] Dans leur déclaration, les demanderesses n'ont d'aucune façon fait référence à quelque preuve d'expertise que ce soit.
[34] La chose parait d'autant plus étonnante que, près de deux semaines avant de produire cette déclaration, les demanderesses avaient mandaté la firme SIRCO. S'il est vrai que les résultats de l'expertise n'étaient pas connus, la possibilité qu'une telle expertise puisse être invoquée était évidente.
[35] En produisant le rapport d'expert à quelques jours de l'audition, les demanderesses contreviennent à leur déclaration de dossier complet. En outre, cette production doit être considérée tardive au sens de l'article 754.1 C.p.c. En effet, les demanderesses devaient transmettre tous les documents qu'elles entendaient invoquer « dès que possible » avant la présentation de la demande en injonction interlocutoire.
[36] Or, les demanderesses ont été en possession continue du poste informatique d'Alexandre Labonté depuis son départ en novembre 2013. Dans la meilleure hypothèse pour les demanderesses, elles avaient réalisé, au moment d'introduire leur recours en mai 2014, l'ampleur de la situation qu'elles allèguent.
[37] Les règles de saine administration de la justice, qui doivent être au cœur de l'analyse du Tribunal, commandent cette conclusion. Les parties ont déployé temps et énergie depuis près de six mois pour que puisse être entendue la demande en injonction interlocutoire. Elles ont convenu des modalités devant mener à l'audition et ont obtenu du temps de Cour selon leurs représentations et engagements. Aucune circonstance suffisante n'est soulevée par les demanderesses pour court-circuiter ce processus.
Voilà une décision que tout plaideur devrait avoir à la portée de la main lors de l'audition d'une injonction provisoire ou d'une ordonnance de sauvegarde et que la partie demanderesse tente de déposer de la preuve à la dernière minute.
Référence : [2014] ABD 500
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