lundi 29 décembre 2014

La question de compétence soumise à la norme de la décision correcte existe-t-elle encore?

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Je ne fais pas de secret pour mon dédain de la norme de la décision raisonnable en matière de droit administrative et de mon inquiétude quant au nombre sans cesse diminuant de questions soumises à la norme de la décision correcte. Ainsi, ce n'est pas de gaieté de coeur que j'attire ce matin votre attention sur la décision rendue dans l'affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles (2014 QCCS 6160) où la Cour supérieure prends essentiellement note du fait que l'application de la norme de la décision correcte à des questions de compétence est sur son lit de mort.
 


Dans cette affaire, la Requérante s'adresse à la Cour supérieure pour obtenir l'annulation de deux décisions de l’Intimée, la Commission des lésions professionnelles (CLP). Elle plaide en effet que la CLP n'avait pas compétence pour rendre les décisions attaquées.
 
La première question qui se pose est celle de la norme de contrôle applicable. À ce chapitre, l'Honorable juge Clément Samson note que les questions de compétence tombaient sous l'égide de la norme de la décision correcte selon les enseignements de l'affaire Dunsmuir, mais que la jurisprudence a évolué depuis. Ainsi, la tendance récente est à l'application de la norme de la décision raisonnable puisqu'il s'agit pour le tribunal administratif d'appliquer sa loi habilitante:
[18]        La Cour suprême, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick présente d’abord les deux normes potentiellement applicables : 
« [47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  
(…)  
[50] S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit.  On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit.  La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur.  En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose.  La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.  » 
[19]        En présence d’une clause privative comme c’est le cas en l’espèce (article 369 de la LATMP), d’un tribunal administratif distinct et particulier possédant une expertise spéciale, et d’une question de droit relativement habituelle pour ce tribunal, la Cour suprême enseigne que la Cour chargée de la surveillance de ce tribunal administratif doit faire preuve de déférence, d’où en principe l’application de la norme de la décision raisonnable. 
[20]        Plus récemment, dans l’arrêt Alberta (Information & Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, la Cour suprême devait choisir la norme de contrôle applicable et, pour ce faire, devait se demander s’il s’agissait d’une « question touchant véritablement à la compétence » comme il pourrait être possible de l’envisager dans le présent dossier. Sous la plume de Monsieur le Juge Rothstein, on peut lire :  
« [34] La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut-être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire. »  
[21]        Plus loin, la Cour suprême suggère que, dans le doute, la norme de la décision raisonnable doit être privilégiée :  
« [42] Comme je l’explique précédemment, je ne peux offrir de définition quant à ce qui peut constituer une question touchant véritablement à la compétence. Or, si on conserve cette catégorie sans la définir clairement ni préciser sa teneur, les cours de justice demeureront inutilement dans l’incertitude à ce sujet. Cependant, à ce stade, je n’exclus pas que, dans notre système fondé sur le principe du contradictoire, un avocat puisse convaincre une cour de l’existence et de l’application d’une question touchant véritablement à la compétence dans une affaire donnée. Concrètement, il convient d’indiquer aux tribunaux et aux plaideurs que, pour l’heure, les questions touchant véritablement à la compétence sont exceptionnelles et que, si l’occasion se présente, il conviendra ultérieurement de se demander si la catégorie est effectivement utile ou nécessaire.» 
[22]        Considérant ces enseignements et règles de prudence, le Tribunal est d’avis que la norme de la décision raisonnable doit le guider dans l’analyse des deux décisions contestées par la CSST.
Misère...

Ceci étant dit, les défenseurs de la norme de contrôle de la décision raisonnable souligneront sûrement que le juge Samson en vient à la conclusion que les décisions de la CLP étaient déraisonnable et qu'il annule celles-ci.

Référence : [2014] ABD 517

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