Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Si les éléments essentiels que l'on doit retrouver dans une clause compromissoire parfaite sont aujourd'hui bien connus, ce n'était pas nécessairement le cas avant que la Cour suprême ne rende sa décision dans l'affaire Sport Maska Inc. c. Zittrer ([1988] 1 RCS 564). Dans celle-ci, l'Honorable juge Claire L'Heureux-Dubé énonçait quelles sont les modalités minimale d'une telle clause.
Dans cette affaire, le séquestre d'une compagnie en faillite a vendu une importante partie de l'actif de la compagnie à une entreprise qui, le même jour, l'a revendu à l'Appelante.
La clause 2.01 de la convention relative à cette dernière vente prévoyait que l'évaluation des stocks serait révisée par les vérificateurs de la faillie, les Intimés, qui devaient tenir compte des arguments de l'Appelante. Les Intimés devaient par la suite donner un avis écrit à toutes les parties selon lequel l'inventaire et l'évaluation des stocks étaient présentés de manière fidèle, le tout au frais de la faillie. À la remise de cette opinion, l'inventaire et l'évaluation des stocks étaient présumés avoir été déterminés de façon définitive.
Un an après que ce processus ait été complété, l'Appelante a intenté une action en dommages en Cour supérieure contre les Intimés pour le montant représentant la différence entre le prix versé et celui qu'elle aurait dû payer si les Intimés n'avaient pas fait preuve de négligence dans l'accomplissement de leur tâche.
Les Intimés ont demandé le rejet de ce recours au motif qu'ils avaient agi à titre d'arbitre au terme d'une clause compromissoire et qu'ils bénéficiaient donc d'une immunité totale à l'encontre des poursuites.
Le pourvoi vise donc à déterminer si le processus décrit ci-dessus est un vrai processus d'arbitrage au sens du Code de procédure civile.
Après une étude approfondie de la jurisprudence étrangère sur la question, la juge L'Heureux-Dubé formule les commentaires suivants quant aux modalités essentielles d'une clause compromissoire avant de conclure que les Intimés n'agissaient pas ici à titre d'arbitres:
96. Au‑delà de la nécessité d'un différend bien identifié qui fera l'objet de l'arbitrage, les parties doivent s'être obligées à soumettre ce différend à un tiers dont il m'apparaît crucial d'identifier la fonction précise que les parties ont entendu lui confier au regard des termes de leur entente et des circonstances de chaque espèce. Cette intention pourra s'inférer des critères dégagés par la doctrine et la jurisprudence tant au Québec qu'en France, les sources de notre droit étant identiquement tributaires de l'ancien droit français et l'évolution de nos dispositions en la matière ayant suivi la même courbe.
97. Je me permets de rappeler certains de ces critères qui, s'ils sont utiles, ne sont ni exhaustifs ni déterminants mais peuvent servir de guide dans la recherche d'une intention qu'il sera souvent loin d'être facile de dégager. Le langage utilisé par les parties peut être indicatif de leur volonté de soumettre un différend à l'arbitrage ou à l'expertise. Par exemple, le titre donné au contrat, le fait que le même terme soit employé de façon uniforme dans les divers documents ou encore l'absence de référence à une procédure plutôt qu'à une autre peuvent être pris en considération dans la qualification du mécanisme envisagé par les parties. Toutefois, les tribunaux ne sont pas liés par les termes choisis consciemment ou non par les parties, termes qui peuvent fort bien ne pas correspondre à l'intention véritable qui se dégage d'autres critères.
98. L'un des aspects principaux qui ressort de l'analyse du Code de procédure civile, de la doctrine et de la jurisprudence est la similitude que doit avoir l'arbitrage avec le processus judiciaire. Plus la similarité est grande, plus la probabilité que le recours au tiers soit qualifié d'arbitrage augmente. La possibilité pour les parties d'être entendues, de plaider, de présenter une preuve, testimoniale ou documentaire, la présence d'avocats lors de l'enquête, le fait que le tiers rende une sentence arbitrale motivée participent beaucoup plus du contradictoire que de l'expertise et tendent à démontrer la volonté des parties de se soumettre à un arbitrage. Le fait que la décision soit finale et obligatoire est également indicatif d'un arbitrage, mais, contrairement à ce que prétendent les intimés, n'en constitue pas l'apanage exclusif.
99. Le rôle confié au tiers est indicatif du statut que lui ont conféré les parties. Si le tiers doit juger entre des prétentions contradictoires sur un point donné, nous sommes beaucoup plus près de l'arbitrage. Par ailleurs, si les parties ont fait appel à un tiers uniquement afin de compléter un élément du contrat, il est moins certain qu'elles aient entendu soumettre un différend né à ce tiers mais elles ont plutôt voulu éviter la naissance d'un tel différend, à moins d'autres critères à l'effet contraire. Dans la même veine, le tiers est‑il appelé à décider en fonction de ses connaissances personnelles ou doit‑il plutôt choisir entre les diverses positions soutenues par les parties en présence? Dans la première hypothèse, il s'agit vraisemblablement d'une expertise alors que dans la seconde on serait tenté d'y voir un arbitrage.
100. D'autre part, le tiers, pour être arbitre, ne saurait agir à titre de mandataire de l'une des parties. Par exemple, le fait qu'il détienne des liens particuliers avec l'une d'elles ou encore qu'il soit rémunéré par l'une d'elles seulement semble incompatible avec le concept d'impartialité, caractéristique fondamentale de l'arbitrage. Le respect par les parties des dispositions impératives du Code est une condition essentielle de l'arbitrage. Entre autres, à l'époque, le compromis devait être constaté par écrit et se conformer aux exigences prévues à l'ancien art. 941 du Code de procédure civile (aujourd'hui l'art. 1926.3 C.c.B.‑C.); les arbitres devaient être au nombre de un ou trois (art. 941 C.p.c.); les parties ne pouvaient compromettre sur les matières énumérées à l'art. 940 du Code de procédure civile (aujourd'hui l'art. 1926.2 C.c.B.‑C.); la sentence arbitrale devait être motivée et signée (l'art. 948 C.p.c., aujourd'hui l'art. 945.2 C.p.c.)
101. Tous ces critères permettent de déceler l'intention véritable des parties. Une mise en garde s'impose toutefois. Si les critères énumérés ci‑dessus ne sont pas nécessairement exhaustifs, ils ne sont pas non plus mutuellement exclusifs en ce sens qu'ils peuvent s'intégrer et même se fondre les uns dans les autres. Il n'est pas nécessaire qu'ils soient tous présents et encore moins qu'ils concordent en faveur d'une position ou d'une autre. Les critères ne sont en fait que des outils servant à cerner l'intention qui se dégage des documents et autres instruments pour déterminer quelle tâche les parties ont véritablement voulu confier au tiers qu'elles ont choisi.
Référence : [2014] ABD Rétro 52
Aucun commentaire:
Publier un commentaire
Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.