dimanche 21 décembre 2014

Dimanches rétro: les enseignements de la Cour suprême quant au devoir d'information

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il est assez extraordinaire que nous soyons rendu si loin dans la série des Dimanches rétro et que nous n'avons toujours pas parlé de l'affaire Banque de Montréal c. Bail Ltée ([1992] 2 RCS 554) et de la reconnaissance expresse par la Cour suprême du devoir d'information qui découle de l'obligation d'agir de bonne foi envers sa contractante. Je corrige donc cet impair aujourd'hui en attirant votre attention sur un extrait très important de ce jugement phare de la Cour.
 

Revenons d'abord sur la trame factuelle de l'affaire.

En mai 1977, Hydro-Québec fait un appel d'offres pour la construction et l'aménagement d'un poste. Plusieurs documents sont alors mis à la disposition des soumissionnaires, dont un rapport géotechnique préparé par une firme d'experts et remis à Hydro-Québec en 1974. À la fin juin, sur la recommandation des experts, Hydro-Québec modifie les plans du chemin d'accès du poste. Quelques jours plus tard, elle confie les travaux de terrassement, d'excavation et de construction à un entrepreneur, les Intimées Bail Ltée et Sotrim Ltée, pour un prix forfaitaire.
 
À son tour, l'entrepreneur confie une partie des travaux à un sous-traitant. Or, ce sous-traitant aura des difficultés monstres dans le cadre du projet en raison des mauvaises conditions du sol.
 
Cela mènera ultimement à la faillite du sous-traitant et à l'institution de divers actions en dommages. Pendant celles-ci, un représentant du sous-traitant  reçoit d'une source anonyme une copie d'un des plans annexés au rapport géotechnique de 1977 qui n'avait pas été rendu disponible aux soumissionnaires. Or, ce plan aurait permis de se rendre compte d'une erreur sur l'endroit précis des travaux, ce qui pourrait expliquer les déboires importants dans les travaux.
 
C'est dans ce contexte que se pose la déliquate question - pour l'époque - de savoir si Hydro-Québec avait un devoir de renseigner les soumissionnaires et si - en ne le faisant pas - elle a commis une faute civile.
 
Au nom d'une Cour unanime, l'Honorable juge Gonthier est d'avis qu'un devoir d'information pesait effectivement sur Hydro-Québec en l'instance. À ce chapitre, le juge Gonthier écrit ce qui suit à l'égard du devoir d'information:
Il convient alors de se demander s'il y a lieu de généraliser à partir de tous ces cas particuliers.  Je crois qu'il est possible d'esquisser une théorie globale de l'obligation de renseignement, qui reposerait sur l'obligation de bonne foi dans le domaine contractuel, mentionnée plus haut (voir Y. Picod, Le devoir de loyauté dans l'exécution du contrat (1989), aux pp. 112 à 116).  J. Ghestin, Traité de droit civil, t. II, Les obligations -- Le contrat:  formation (2e éd. 1988), conclut une longue étude de l'obligation de renseignement en proposant la définition suivante à la p. 566: 
Finalement, celle des parties qui connaissait, ou qui devait connaître, en raison spécialement de sa qualification professionnelle, un fait, dont elle savait l'importance déterminante pour l'autre contractant, est tenue d'en informer celui-ci, dès l'instant qu'il était dans l'impossibilité de se renseigner lui-même, ou qu'il pouvait légitimement faire confiance à son cocontractant, en raison de la nature du contrat, de la qualité des parties, ou des informations inexactes que ce dernier lui avait fournies.
Sans nécessairement en adopter l'énoncé, je suis d'avis que Ghestin expose correctement la nature et les paramètres de l'obligation de renseignement.  Il en fait ressortir les éléments principaux, soit: 
--la connaissance, réelle ou présumée, de l'information par la partie débitrice de l'obligation de renseignement; 
--la nature déterminante de l'information en question; 
--l'impossibilité du créancier de l'obligation de se renseigner soi-même, ou la confiance légitime du créancier envers le débiteur. 
À mon avis, ces éléments se retrouvent dans toutes les instances de l'obligation de renseignement.  Le fabricant, par exemple, connaît ou est présumé connaître les risques et dangers créés par son produit, ainsi que les défauts de fabrication dont il peut souffrir.  Ces informations exercent une influence certaine dans les décisions du consommateur relativement à l'achat et à l'usage de ces produits.  Le plus souvent, le consommateur fait confiance au fabricant à cet égard ou se trouve dans l'impossibilité de connaître ces informations.  Il en va de même pour les autres manifestations de l'obligation de renseignement. 
L'apparition de l'obligation de renseignement est reliée à un certain rééquilibrage au sein du droit civil.  Alors qu'auparavant il était de mise de laisser le soin à chacun de se renseigner et de s'informer avant d'agir, le droit civil est maintenant plus attentif aux inégalités informationnelles, et il impose une obligation positive de renseignement dans les cas où une partie se retrouve dans une position informationnelle vulnérable, d'où des dommages pourraient s'ensuivre.  L'obligation de renseignement et le devoir de ne pas donner de fausses informations peuvent être conçus comme les deux facettes d'une même médaille.  Comme je l'ai mentionné dans Laferrière c. Lawson, précité, les actes et les omissions peuvent tout autant l'un que l'autre constituer une faute, et le droit civil ne les distingue pas à cet égard.  À l'instar de P. Le Tourneau, "De l'allégement de l'obligation de renseignements ou de conseil", D. 1987. Chron., p. 101, cependant, j'ajouterais qu'il ne faut pas donner à l'obligation de renseignement une portée telle qu'elle écarterait l'obligation fondamentale qui est faite à chacun de se renseigner et de veiller prudemment à la conduite de ses affaires.
 
Référence : [2014] ABD Rétro 51

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