samedi 20 décembre 2014

Par Expert: l'expert nommé par la Cour est soumis aux mêmes règles que tout autre expert

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En apparence, l'expert nommé par la Cour a un rôle différent de celui dont les services ont été retenus par une partie. Cela ne reste principalement qu'une apparence. En effet, cet expert doit respecter les mêmes règles que tout autre expert quant à l'étendue permissible de son expertise. Par exemple, comme le démontre l'affaire Rolls-Royce Ltd. c. Québec (Commission de la santé du travail) (1997 CanLII 10542), il ne pourra outrepasser les pouvoirs qui lui sont dévolus.
 

Dans cette affaire, les Appelantes demandent le rejet du rapport de l'expert nommé par la Cour et sa disqualification au motif qu'il a outrepassé les pouvoirs que le juge lui a donné. En effet, les Appelantes plaident que l'expert, chargé, selon les conclusions de l'ordonnance du premier juge, d'une mission visant essentiellement l'examen des rapports d'expertises, la rencontre avec les experts et la détermination des points de convergence et de divergence entre ceux-ci, il a déposé un rapport qui ne s'arrête pas là et se prononce sur le bien-fondé des prétentions de fait des parties quant aux principales questions de responsabilité civile soulevées par le procès.
 
Le juge de première instance a rejeté les demandes des Appelantes, indiquant qu'il n'était pas lié par l'opinion de l'expert de toute façon.
 
Au nom d'un banc unanime, l'Honorable juge Louis Lebel accueille le pourvoi et indique que l'expert, même nommé par la Cour, doit obéir aux règles usuelles à moins qu'une ordonnance de lui ai donné des pouvoirs exceptionnels (ce qui n'était pas le cas ici). Qui plus est, cet expert ne peut se prononcer sur les questions qu'il reviendra à la Cour de trancher:
L'ordonnance du juge ne conférait à l'expert aucun rôle de cette nature. De plus, dans le cours de ses opérations, le mis en cause a procédé à des rencontres et à des recherches qui sortaient du type de mandat qui lui avait été confié par le premier juge. Il aurait pu être autorisé à poser de tels gestes. Il aurait fallu cependant qu'on les prévoie dans la mission et qu'il indique aux parties qu'il entendait y procéder. Notamment, les visites dans le laboratoire d'une société affiliée à Rolls-Royce, les simulations des manoeuvres de pilotage sur un F-27 et la rencontre avec un ancien pilote du Gouvernement du Québec sortaient carrément du cadre de la mission. Comme celui de la mission n'a pas été respecté, le rapport est nul et doit être rejeté du dossier (West End Clinic Inc. c. Irish, [1972] R.P. 405 (C.A.); Houle c. Brosseau, [1984] C.S. 260, le juge Péloquin).  
Il reste maintenant à examiner le problème de la disqualification de l'expert. Dans les circonstances du cas, elle s'impose. L'expert est un agent du tribunal dont il exerce une partie des fonctions. Contrairement à son obligation d'agir conformément à son mandat et impartialement, cet expert a déposé un rapport complètement illégal, sans respecter le cadre fondamental de son action. Le premier juge entend néanmoins le maintenir en fonction comme son conseiller, jusqu'à la fin du procès. 
Les solutions envisagées par le premier juge sur le contre-interrogatoire de l'expert et le rappel que ses conclusions ne lient pas le tribunal ne constituent pas un correctif. Au contraire, elles aggraveraient la situation. Le procès se déroulerait non seulement devant le juge, mais aussi devant un expert qu'il entend utiliser comme son conseiller, à tout le moins, jusqu'au délibéré, en lui confiant des missions diverses, comme l'organisation d'expertises additionnelles. Il se pourrait, par ailleurs, que ce conseiller privilégié soit contre-interrogé en cours de procès, tout en conservant l'oreille du juge. Avec respect, ce serait créer une situation inextricable et inadmissible qui, pour les appelantes, créerait inévitablement une appréhension raisonnable de partialité. Dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et de la sérénité des débats devant la Cour supérieure, il apparaît préférable que l'expert soit déclaré inapte à agir en date de la production de son rapport.

Référence : [2014] ABD Expert 51

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