jeudi 13 novembre 2014

Qu'est-ce qu'une erreur manifeste et déterminante dans l'appréciation de la preuve? Une décision récente de la Cour d'appel en discute

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Ma dissertation sur les multiples raisons pour lesquelles je n'aime pas la norme de l'erreur manifeste et déterminante devra attendre un autre jour. La version la plus courte de celle-ci est que cette norme place les considérations d'administration de la justice loin devant la recherche de la vérité. Je sais que je suis un idéaliste, mais j'accepte difficilement ce sacrifice de la justesse (et la justice). Pourtant, je - comme tous les autres plaideurs - doit m'y faire, ce qui implique bien comprendre ce qu'est une erreur manifeste et dominante. La Cour d'appel revient sur cette notion dans Mireault c. Mireault (Succession de) (2014 QCCA 2071).
 


Pour nos fins, les faits de l'affaire n'ont pas d'importance. Il suffit de noter que l'Appelant remet en question des déterminations factuelles du jugement de première instance.
 
C'est dans ce contexte que les Honorables juges Dufresne, Savard et Émond rappellent ce qu'on entend par une erreur manifeste et déterminante. Il s'agit de beaucoup plus que de demander à la Cour de revoir la preuve. En effet, la Cour souligne qu'il faut pouvoir montrer clairement en quoi une conclusion factuelle est erronée:
[14]        Dans le cadre de son appel, l’appelant réitère la position qu’il a fait valoir en première instance. Il soutient que la juge aurait commis de nombreuses erreurs dans l’appréciation de la preuve ainsi que des erreurs mixtes. 
[15]        La norme d’intervention en pareille situation est bien connue. Une cour d’appel n’intervient sur des questions touchant l’appréciation de la preuve que si le juge a commis des erreurs manifestes et déterminantes. Il doit s’agir d’erreurs évidentes qui peuvent avoir un impact décisif sur la décision. Ces erreurs doivent être clairement relevées ou montrées du doigt par la partie qui se pourvoit. Montrer du doigt signifie autre chose qu’inviter la Cour à revoir l’ensemble de la preuve afin qu’elle décèle elle-même les erreurs pour substituer son opinion à celle du juge de première instance. Comme le souligne le juge Morissette dans l’arrêt P.L. c. Benchetrit, la seule affirmation qu’une conclusion est contraire à la preuve n’est d’aucune utilité en appel : 
[24] [...] D’où il suit qu’affirmer sans plus de précision qu’une conclusion de fait « est contraire à l’ensemble de la preuve » n’est d’aucune utilité en appel. Et prétendre qu’une chose est « manifeste » ne suffit pas à la rendre telle. À mon avis, c’est dans ce sens que doivent se comprendre les propos du juge Fish quand il écrivait ce qui suit dans l’arrêt H.L. c. Canada (Procureur général):  
… en plus de sa résonance, l'expression « erreur manifeste et dominante » contribue à faire ressortir la nécessité de pouvoir « montrer du doigt » la faille ou l'erreur fondamentale. Pour reprendre les termes employés par le juge Vancise, [TRADUCTION] « [l]a cour d'appel doit être certaine que le juge de première instance a commis une erreur et elle doit être en mesure de déterminer avec certitude l'erreur fatale » (Tanel, p. 223, motifs dissidents, mais pas sur ce point).  
« Montrer du doigt » signifie autre chose qu’inviter la Cour à porter un regard panoramique sur l’ensemble de la preuve : il s’agit de diriger son attention vers un point déterminé où un élément de preuve univoque fait tout simplement obstacle à la conclusion de fait attaquée. Si cette conclusion de fait, dont on a ainsi démontré qu’elle était manifestement fausse, compromet suffisamment le dispositif du jugement, l’erreur sera qualifiée de déterminante et justifiera la réformation du jugement.
Référence : [2014] ABD 453

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