Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans le cadre de cette rubrique et de nos billets réguliers, nous avons souvent discuté de l'admissibilité de la preuve d'expert au procès. Il importe cependant de souligner - comme le faisait la Cour suprême du Canada plus tôt cette année dans R. c. Sekhon (2014 CSC 15) - que l'admissibilité du témoignage de l'expert n'est pas une question que l'on doit résoudre seulement une seule fois avant qu'il témoigne, mais également tout au long de son témoignage.
Dans cette affaire, l'Appelant a été déclaré coupable d’importation de 50 kg de cocaïne et de possession de cette substance en vue d’en faire le trafic. Des agents des services frontaliers ont saisi la cocaïne après l’avoir trouvée dans un compartiment secret de la camionnette à bord de laquelle l'Appelant s’était présenté à la frontière canado‑américaine en provenance des États-Unis.
La preuve contre l'Appelant était entièrement circonstancielle, et la seule question en litige au procès était celle de savoir si l'Appelant savait que la cocaïne se trouvait à bord du véhicule.
Le juge de première instance en est venu à la conclusion que l'Appelant savant qu'il transportait de la cocaïne en partie en se fondant sur le témoignage d’expert d’un policier concernant les procédés habituels des passeurs, y compris ses propos voulant que, au cours de ses nombreuses années de service, il n’ait jamais eu affaire à un passeur involontaire.
Une des questions principales en appel est celle de savoir si cette dernière déclaration de la part de l'expert (i.e. qu'il n'a jamais eu affaire à un passeur involontaire) était admissible en preuve.
Tant la majorité de la Cour (qui maintien le jugement de culpabilité) que les juges dissidents sont d'avis que ce témoignage n'était pas admissible (ils ne s'entendent pas ailleurs pas sur les conséquences de l'inadmissibilité de cette preuve). Le juge Moldaver, au nom de la majorité, rappelle que la détermination de l'admissibilité du témoignage d'un expert est une question continue:
[46] Compte tenu des craintes exprimées concernant l’incidence éventuelle du témoignage d’un expert sur l’issue d’un procès — y compris le risque que l’expert usurpe la fonction du juge des faits —, le juge du procès doit veiller à bien encadrer l’expert et à dûment circonscrire son témoignage. Même si le risque est accru dans le cas d’un procès devant jury, le juge, y compris celui qui siège seul, a l’obligation de toujours faire en sorte que le témoignage de l’expert respecte les limites établies. Il ne suffit pas qu’il tienne compte des critères de l’arrêt Mohan au début du témoignage de l’expert et qu’il rende une décision initiale quant à l’admissibilité de la preuve. Il doit faire en sorte que, tout au long de son témoignage, l’expert respecte les limites établies à l’égard d’une telle preuve. Comme le fait observer le juge Doherty dans R. c. Abbey, 2009 ONCA 624 (CanLII), 97 O.R. (3d) 330, par. 62 :
[traduction] L’admissibilité du témoignage n’est pas examinée en vase clos. Le juge du procès doit, avant de se prononcer, déterminer la nature et la portée du témoignage proposé. Non seulement il délimite le témoignage, mais il décide aussi, au besoin, des termes que l’expert pourra employer afin de réduire le risque de viciation du procès. Il est essentiel de déterminer avec précaution la portée du témoignage de l’expert et de s’assurer du strict respect des limites ainsi établies si le témoignage est admis. La jurisprudence montre que le non‑respect de telles limites par un témoin‑expert est probablement la faute qui justifie le plus souvent l’infirmation d’une décision en appel . . . [Je souligne; renvois omis.]
[47] Le juge du procès doit veiller à ce que l’expert respecte les justes limites de son domaine d’expertise, puis s’assurer que la teneur de la preuve elle-même fait l’objet à juste titre d’un témoignage d’expert.
Référence : [2014] ABD Expert 45[48] On peut s’attendre à des erreurs et, comme en l’espèce, à des témoignages qui dépassent les limites du domaine d’expertise. Il est également prévisible qu’un avocat de la défense omette de faire objection à un témoignage lorsque des propos discutables sont tenus. Dans un procès devant jury, une fois la déclaration faite, il peut être un peu plus difficile de corriger le tir, mais il suffira généralement de donner au jury la directive correctrice de ne pas tenir compte de la preuve inadmissible. Pour sa part, le juge est rompu à l’art de faire abstraction d’une preuve irrecevable. Il va sans dire que lorsque le témoignage dépasse les limites du domaine d’expertise, il est impératif que le juge du procès n’accorde aucune importance aux portions inadmissibles.
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