vendredi 7 novembre 2014

La bonne foi commande aux parties à un contrat de ne pas utiliser des prétextes pour se dégager de leurs obligations

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le droit contractuel québécois est fondé sur deux prémisses essentielles : le consensualisme et la bonne foi des parties. Cette bonne foi doit s'appliquer dans toutes les facettes de la relation contractuelle de la formation à la  résiliation (ou la résolution), en passant par l'exécution. C'est pourquoi, comme le souligne avec beaucoup de justesse l'Honorable juge Gérard Dugré dans Salter c. Wei (2014 QCCS 5145), une partie ne pourra pas se justifier d'un prétexte ou d'un manquement mineur pour se dégager de ses obligations.
 


Dans cette affaire, le juge Dugré est saisi de l'action en passation de titre de la Demanderesse relativement à un immeuble situé à Montréal et propriété de la Défenderesse.
 
La Défenderesse conteste cette action au motif que la Demanderesse n'aurait pas accepté à temps un amendement qu'elle désirait effectuer à l'entente entre les parties.
 
Après analyse de la trame factuelle de l'affaire, le juge Dugré est d'avis que la Défenderesse ne tente que de trouver un prétexte pour ne pas finaliser la vente. Il s'agit selon lui d'un comportement qui ne répond pas aux exigences de la bonne foi, d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une considération essentielle pour la Défenderesse:
[46]        Partant, le tribunal s’explique mal la volte-face de Mme Wei qui refuse de vendre son immeuble au prix convenu sans garantie légale comme elle le voulait. Son refus est, dans les circonstances, teinté de mauvaise foi et, à cet égard, le tribunal fait siens les sages propos du juge Baudouin dans l’arrêt Provenzano c. Babouri, [1991] R.D.I. 450 (C.A.), J.E. 91-822, auxquels souscrit le juge LeBel, tel qu’il était alors :  
Par contre, notre droit des contrats est soumis à un autre grand principe qui est le respect de la parole donnée et l'exécution de bonne foi des engagements.  Un contractant ne peut refuser de respecter ses obligations en invoquant un simple prétexte ou tenter de se soustraire aux conséquences d'un contrat valablement conclu par de simples arguties. 
[47]        Le tribunal est satisfait que la demanderesse a prouvé son droit d’obtenir judiciairement la passation du titre de l’immeuble en cause, que le prix de vente est disponible et que l’acte de vente notarié est conforme à la promesse d’achat acceptée et liant les parties.  
[48]        Il reste maintenant à examiner les arguments de la défenderesse qui réclame le rejet de la requête de Mme Salter. 
[49]        D’abord, le procureur de Mme Wei plaide que la contre-offre CP54868 était ouverte pour acceptation jusqu’au 29 mars, 23 h, alors que Mme Wei ne l’a acceptée que le 30 mars 2012, à 12 h. Ainsi, lorsque Mme Wei l’a acceptée, elle était caduque.  
[50]        Cet argument ne peut être retenu. Le délai était stipulé par Mme Salter et elle pouvait donc y renoncer comme elle l’a fait dans les circonstances. De plus, ce délai n’était pas stipulé comme étant de rigueur et les circonstances factuelles confirment qu’il ne s’agissait pas d’un délai de rigueur. En conséquence, l’acceptation par Mme Wei de la contre-offre CP54868 le 30 mars 2012, à 12 h, était parfaitement valide. 
[51]        Ensuite, le procureur de Mme Wei soutient que l’amendement AM74550 est indivisible de la contre-offre CP54868 acceptée par Mme Wei et, en conséquence, le défaut par Mme Salter d’accepter dans le délai imparti cet amendement a rendu son acceptation de la contre-offre CP54868 caduque : art. 1392 C.c.Q.  
[52]        Avec égards, le tribunal est d’avis que cet argument doit échouer.  
[53]        Le contrat de vente étant validement formé par l’acceptation de Mme Wei de la contre-offre CP54868, c’est donc l’art. 1439 C.c.Q. qui s’applique à l’amendement AM74550 proposé par Mme Wei.  Dès la réception par Mme Salter de l’acceptation par Mme Wei de la contre-offre CP54868, un contrat a été formé. Ainsi, à compter de ce moment, cette contre-offre a cessé d’être une offre et est devenue un contrat liant les parties. En conséquence, ce n’est pas l’art. 1392 C.c.Q. (« L’offre ... ») qui s’applique, mais bien l’art. 1439 C.c.Q. (« Le contrat ... »). 
[54]        De plus, la preuve révèle que même si la proposition d’amendement AM74550 de Mme Wei n’était pas acceptée, cela ne constituait pas un « deal breaker ». Ainsi, le tribunal conclut, à la lumière de la preuve prépondérante, que la façon de procéder de Mme Wei et de son agent Zhang le 30  mars 2012  –  soit par acceptation de la contre-offre CP54868 et proposition d’amendement AM74550 – visait à lier l’acheteur Mme Salter pour de bon, tout en continuant la négociation pour que la vente se fasse sans garantie légale. D’ailleurs, la demanderesse donnera son accord sur cette question en mai 2012, lequel est reflété dans le projet d’acte de vente P-11, à la clause « Warranty ». 
[55]        En conséquence, à défaut d’entente entre les parties, le contrat de vente intervenu le 30 mars 2012 par l’acceptation de la contre-offre CP54868 ne pouvait être modifié unilatéralement par Mme Wei. De plus, l’interprétation d’un contrat ou d’une clause contractuelle est une question de fait, ou tout au plus une question mixte de fait et de droit. Or, à la lumière de l’ensemble des faits, et particulièrement du comportement de Mme Wei subséquemment au 30 mars 2012, le tribunal conclut que l’amendement proposé par cette dernière n’a pas invalidé le contrat résultant de son acceptation de la contre-offre CP54868. 
[56]        Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un faux problème. En effet, en mai 2012, Mme Salter a consenti à acheter l’immeuble de Mme Wei sans garantie légale mettant ainsi de côté l’art. 1716 C.c.Q. Cet accord des parties a donc modifié le contrat qui liait les parties jusque-là et résultant de l’acceptation de la contre-offre CP54868 par Mme Wei le 30 mars 2012 : art. 1439 C.c.Q. Ainsi, Mme Wei n’avait plus aucun motif pour refuser de signer l’acte de vente notarié le 1er juin 2012.
Référence : [2014] ABD 445

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