vendredi 19 septembre 2014

L'article 2097 C.c.Q., lequel prévoit que l'aliénation d'une entreprise ne met pas fin au contrat d'emploi, s'applique même dans un contexte de faillite

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'article 2097 C.c.Q. vise à protéger le lien d'emploi en cas d'aliénation d'entreprise. Cette disposition d'ordre public s'applique clairement à la vente conventionnelle d'une entreprise ou d'une partie de celle-ci. Qu'en est-il cependant du cas où une entreprise fait faillite et c'est un syndic ou un séquestre qui vend l'entreprise? Dans Aéro-Photo (1961) inc. c. Raymond (2014 QCCA 1734), la Cour indique que l'article 2097 C.c.Q. s'applique même dans ces circonstances.


Dans cette affaire, les Appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure qui les a principalement condamné à verser 659 322,49 $ à l’Intimé à titre d’indemnité de fin d’emploi.
 
L'argument principal qui est présenté à l'encontre de la conclusion de première instance est qu'il n'y a pas eu de vente d'entreprise en l'instance. Au contraire, l'entreprise a fait faillite et c'est le syndic qui a vendu l'entreprise de sorte que le contrat d'emploi de l'Intimé n'aurait pas survécu à la faillite.
 
L'Honorable juge Yves-Marie Morissette, au nom d'un banc unanime de la Cour, confirme le jugement de première instance sur cet aspect. En effet, son analyse l'amène à conclure qu'il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'une vente directe pour que l'article 2097 C.c.Q. trouve application. Ainsi, l'intervention du syndic n'empêche pas le transfert du contrat d'emploi:

On perçoit tout de suite la difficulté que peut susciter ce passage. Tout d’abord, l’hypothèse d’un intermédiaire qui intervient dans la relation juridique n’est pas écartée. En outre, si l’on accepte l’enchaînement logique que je me suis efforcé de décrire plus haut aux paragraphes [29], [31], [32], [33] et [34], le raisonnement que contient la citation précédente ne tient plus, à moins d’admettre qu’abroger l’exception des ventes en justice était au fond inutile puisque le concept d’aliénation suffisait en soi pour maintenir à l’écart de l’article 45 C.t. de telles ventes, qu’elles se fassent par huissier de justice, par syndic ou autrement. Or, je vois mal comment on pourrait admettre une semblable proposition.  

[45]        C’est aussi, je crois, l’avis du juge de première instance : pour que l’article 2097 C.c.Q. trouve application, il est inutile, selon lui, que le lien de droit soit direct entre Groupe Alta, l’employeur précédent, et Aéro-Photo, le nouvel employeur. Puis, poursuivant son analyse, il s’exprime dans les termes suivants, que je reproduis cette fois sans inclure les notes de bas de page: 
[80]      … contrairement aux prétentions d'Aéro-Photo, nous ne pouvons conclure, à la lumière de [l’arrêt Bibeault], qu'il n'existe aucun lien de droit entre l'employeur original qui fait faillite en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et le tiers qui achète du syndic l'entreprise qu'il exploitait. D'une part, la Cour suprême ne s'est pas prononcée sur l'existence d'un lien de droit dans le cadre d'une faillite ni d'une vente en justice et, d'autre part, le contexte législatif était différent lorsqu'elle a rendu son jugement.  
[81]      En effet, l'article 45 du Code du travail, tel qu'il se lisait avant d'être amendé le 15 juillet 2001, précisait qu'il s'applique dans le cas de l'aliénation ou de la concession totale ou partielle de l'entreprise « autrement que par vente en justice.  
[82]      C'est pour cette raison qu'en assimilant la vente effectuée sous l'autorité d'un syndic de faillite à une vente en justice, la jurisprudence reconnaissait, règle générale, que le syndic pouvait vendre les biens faisant partie de l'entreprise du failli à un tiers, et ce, sans que ce dernier soit lié par les dispositions de la convention collective.  
[83]      Or, depuis que l'article 45 du Code du travail a été amendé par la suppression de l'expression « autrement que par vente en justice », il est désormais reconnu que la vente en justice est un mode de transmission valable de l'entreprise aux termes de cette disposition. Cela signifie qu'il n'est pas nécessaire que l'entreprise soit transférée volontairement par l'employeur original pour qu'il existe un lien de droit dans une telle situation.  
[84]      Puisque l’article 2097 C.c.Q. ne contient pas l'expression « autrement que par vente en justice » après le terme « aliénation », il s'ensuit qu'il peut s'appliquer même si la vente de l'entreprise est effectuée sous l'autorité d'un syndic de faillite. 
[85]      En effet, cette disposition […] doit être interprétée en tenant compte de l'intention du législateur d'exclure l'exception relative à la vente en justice en amendant ces deux dernières dispositions.  
[…]  
[89]      Somme toute, les deux conditions de l'article 2097 C.c.Q. étant satisfaites, nous concluons qu'Aéro-Photo est liée par la Convention d’emploi P‑15.        
Il estime enfin qu’on ne peut prêter au jugement rendu dans l’affaire Garner c. Edwin Jeans Canada Ltée la portée que prétend lui donner l’appelante Aéro-Photo. Dans ce dossier, où le juge avait constaté que dans les faits l’entreprise en faillite avait été interrompue pendant un certain temps, il était inutile de se prononcer sur l’absence de « lien civil direct d'auteur à ayant droit ». J’ajouterais pour ma part que, ayant été rendu quelques années avant la modification de l’article 45 C.t., ce jugement ne pouvait dégager des textes de loi l’interprétation qui est développée ici et qu’anticipaient déjà les motifs à l’appui du jugement entrepris.  
[46]        L’article 2097 est donc susceptible de recevoir application malgré la faillite d’un premier employeur. Cela dit, doit-on néanmoins tenir pour fondée la prétention de l’appelante Aéro-Photo selon laquelle le contrat de travail de l’intimé, qui était à durée indéterminée, s’est terminé le 24 février, avant le transfert des droits de l’intimé?

 
Référence : [2014] ABD 376

2 commentaires:

  1. Ils ont fermé "la shop" hier.

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  2. Cela me met à laisse concernant mon emploi, et la faillite. J'ai travaillé pour une entreprise il y a 5 ans d'aujourd'hui qui était en procédure de faillite. On avait entendu des rumeurs concernant la possibilité que l'on sera tous mis sur pied à cause de cela. Heureusement que cela n'était pas le cas, en tout cas pour moi vu que j'ai quitté mon emploi afin de continuer mes études. Merci comme même pour cet article enrichissant.

    Eric | http://www.adamsyndic.com/

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