lundi 15 septembre 2014

L'abus ne rime pas nécessairement avec la quérulence

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Une déclaration de quérulence est une sanction très sévère. En effet, il s'agit de restreindre l'accès d'une personne au système de justice. Pour cette raison, il ne faut pas se surprendre que la barre est très haute pour obtenir une telle déclaration Comme le souligne l'Honorable juge Jean-Jude Chabot dans l'affaire Legault c. Giraldeau (2014 QCCS 4254), ce n'est pas parce qu'une personne dépose des procédures ultimement jugées abusives qu'elle est quérulente pour autant.
 

D'abord un court récit des faits.
 
En avril 2012, le Demandeur intente des procédures judiciaires contre son son frère, la Défenderesse et le liquidateur de la succession de son père demandant la destitution du liquidateur et à déshériter la Défenderesse et son frère. Ces procédures allèguent entre autres que le testament aurait été recelé par sa modification et le vol de l'original, que des biens immobiliers en usufruit ont fait l'objet de factures remises pour des réparations et des rénovations auprès des nus-propriétaires avant la fin de l'usufruit et que les biens immobiliers auraient fait l'objet d'une vente inférieure à leur valeur.
 
Ces premières procédures sont rejetées suite au dépôt d'une requête en rejet d'action par l'Honorable juge Gérard Dugré en août 2012 pour cause de prescription.
 
Malgré ce jugement, le Demandeur présente toujours dans le même dossier le 3 octobre 2012 une réquisition d'un bref de saisie avant jugement afin de saisir la somme de 15 000$ dans les mains du liquidateur « à la suite du jugement de ce tribunal ayant accueilli la requête introductive d'instance et condamnant le défendeur à lui verser des sommes qui lui sont dues en tant que liquidateur de la succession… ».  Aucun tel jugement n'est intervenu dans le dossier.  La réquisition est donc refusée le 3 octobre 2012 par le juge Stéphane Sansfaçon.
 
Alors que la vente de la partie indivise des fils est intervenue le 8 avril 2011, le Demandeur fait néanmoins parvenir à la Défenderesse une mise en demeure en août 2013 lui réclamant une quote-part de 25% des revenus de location de l'immeuble.  Le 12 janvier 2014, il récidive avec une nouvelle mise en demeure adressée à la Défenderesse dans laquelle il réclame de modifier le contrat de vente du 8 avril 2011 pour augmenter le prix de vente de sa part à un montant correspondant à la valeur marchande de celle-ci.  Le 10 février 2014, le demandeur introduit sa requête en annulation du contrat de vente.
 
La Défenderesse dépose alors une requête en rejet d'action dans ce nouveau dossier alléguant abus. En réponse, le Demandeur se désiste de son recours, mais la Défenderesse insiste pour obtenir une déclaration d'abus, remboursement de ses honoraires extrajudiciaires et une déclaration de quérulence contre le Demandeur.
 
Le juge Chabot n'a aucune hésitation à conclure que le recours du Demandeur est abusive et il condamne le Demandeur à rembourser les honoraires extrajudiciaires de la Défenderesse:
[18]        Il est manifeste que le contrat de vente R-1 a été signé en toute connaissance de cause par le demandeur.  Il savait ce qu'il signait, il connaissait la valeur marchande attribuée à l'immeuble puisqu'elle est indiquée à l'acte.  Il savait également que personne n'était intéressé à acheter l'immeuble au prix espéré.  Il avait besoin d'argent.  Sa situation financière ne résultait pas d'agissements de la défenderesse.  Il a donc accepté de vendre au prix proposé par celle-ci.  Il n'y a eu aucune erreur de sa part, aucun vice de consentement, aucun dol de la part de la défenderesse et donc, aucune justification pour demander l'annulation de la vente.  Il ne s'agit même pas d'une erreur sur la valeur économique du contrat puisqu'il connaissait cette valeur.  Ses allégations d'abus financiers sont frivoles puisqu'il a consenti au contrat volontairement et sans réserve pour des raisons qui lui étaient personnelles et qu'il a profité des sommes reçues.  Il n'offre pas la remise en état ni ne consigne les sommes reçues.  On ne peut profiter et désavouer en même temps. 
[19]        Dans les circonstances, le Tribunal est d'avis que la réclamation du demandeur était téméraire et frivole au départ et que celui-ci a abusé de son droit d'ester en justice.  Il s'agit en l'espèce d'un cas de « légèreté blâmable » au sens des arrêts Viel c. Entreprises Immobilières du Terroir Ltée, [2002] R.J.Q. 1262, [2002] QCCA 41120 et Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd, [2007] QCCA 915, justifiant l'octroi de dommages et intérêts équivalant aux honoraires extrajudiciaires que la demanderesse a dû assumer pour  se défendre et que le Tribunal  arbitre à 3 000$ (RD-11).
Cependant, le juge Chabot rejette la demande de déclaration de quérulence. En effet, il souligne qu'il faut retrouver dans l'attitude d'une partie une insouciance ou un refus de respecter l'autorité des tribunaux, laquelle n'est pas présente en l'espèce. Ainsi, même si les multiples recours du Demandeur étaient manifestement mal fondés ou abusifs, une déclaration de quérulence ne s'en suit pas:
[21]        En l'espèce, le Tribunal n'est pas convaincu qu'il s'agisse d'un cas de quérulence.  Le Tribunal est plutôt d'avis qu'il s'agit d'un cas d'incompréhension du droit et de la procédure civile.  Le demandeur ne s'est pas montré opiniâtre et narcissique, il n'a pas multiplié les recours vexatoires, tout au plus a-t-il essayé de faire valoir ses prétentions dans deux recours distincts dont l'un n'a pas été décidé au départ par le juge Dugré.  Même s'il portait sur les mêmes faits, les deux recours n'étaient pas identiques.  Le présent recours ne comporte pas d'injures ni d'insultes inadmissibles à l'encontre de la défenderesse.  Le demandeur n'a pas démontré une conduite qui suggère une incapacité ou un refus de respecter l'autorité des tribunaux.  Au départ de l'audience, il a informé le Tribunal qu'il ne ferait plus de procédure à l'encontre de la défenderesse. 
[22]        Bref, s'il a été téméraire dans son recours, le demandeur n'a pas été quérulent.  Cette demande sera donc refusée.
Référence : [2014] ABD 367

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