Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
La bonne foi contractuelle est un concept beaucoup plus facile à conceptualiser en théorie qu'à appliquer en pratique. En effet, une application trop rigoureuse de ce concept pourrait paralyser les parties contractuelles et ultimement rendre complètement inefficace leurs droits contractuels, alors que l'abandon de cette exigence donne souvent lieu à des abus flagrants. Tout est une question d'équilibre. Cela m'amène à revenir, comme promis, à l'affaire Corporation d'Urgences-santé de la région de Montréal métropolitain c. Novacentre Technologie ltée (2014 QCCA 1594) pour mettre en évidence les propos de la Cour d'appel à l'effet que ce n'est pas agir de mauvaise foi que de prévoir une solution de rechange lorsque l'on doute raisonnablement de la capacité de notre partie contractante de remplir ses obligations contractuelles.
Comme c'était le cas ce matin, pour nos fins la trame factuelle complète de l'affaire n'est pas nécessaire. Il suffit de noter que la juge de première instance en était venue à la conclusion que l'Appelante avait été abusive dans sa résiliation unilatérale de l'entente par laquelle l'Intimée devait lui fournir des ambulances.
Un des reproches que formulait l'Intimée à l'égard du comportement de l'Appelante c'est que cette dernière, avant même l'expiration du délai prévu à sa mise en demeure pour que l'Intimée respecte ses obligations, explorait déjà des solutions de rechange. Selon l'Intimée, cela démontrait que l'Appelante était de mauvaise foi et n'entendait pas véritablement donner à l'Intimée l'opportunité d'exécuter son obligation contractuelle.
L'Honorable juge Yves-Marie Morissette, au nom d'un banc unanime, n'y voit pas là un comportement abusif. Il indique qu'il est raisonnable pour une partie contractante, lorsqu'elle a des doutes raisonnables sur la possibilité pour sa co-contractante de remplir ses obligations contractuelles, de prévoir des solutions de rechange, particulièrement lorsque les délais sont importants:
[87] En l’occurrence, le fait que l’appelante se soit réservée une solution de rechange avant l’expiration du délai accordé à l’intimée ne constitue pas non plus un manque de loyauté envers l’intimée ou de la mauvaise foi de sa part. D’une part, l’appelante avait de très sérieuses raisons de croire que l’intimée était dans l’incapacité de livrer un véhicule conforme dans un délai raisonnable. D’autre part, le maintien d’une flotte d’ambulances fonctionnelles est impératif pour assurer la sécurité du public. Étant donné la lourdeur du processus d’attribution des contrats par appel d’offres, et les délais qui en découlent inéluctablement, on ne peut reprocher à l’appelante d’avoir évalué les options qui s’offraient à elle avant l’expiration du délai accordé à l’intimée : il lui fallait impérativement trouver un autre fournisseur d’ambulances dans l’éventualité, par ailleurs probable, que l’intimée serait incapable de livrer un véhicule conforme. La recherche d’une solution viable et rapide ne servait pas les intérêts de l’appelante mais bien ceux du public. Vu le contexte, je considère que l’appelante a agi de façon prudente et diligente et que, par conséquent, on ne peut qualifier ses initiatives d’indices de mauvaise foi ou de manque de loyauté.
[88] Reste le devoir de coopération. Il est vrai que la direction de l’appelante a ordonné de rompre toute communication avec l’intimée à partir du moment où le véhicule modèle a été inspecté pour la dernière fois. L’intimée a prétendu avec succès en première instance qu’elle ne pouvait remédier à certains défauts, car ils étaient invoqués de façon trop imprécise dans les documents reçus le 30 mars 2006. Or, cette prétention n’est vraie que pour certaines non-conformités. L’intimée connaissait depuis longtemps la présence de non-conformités suffisantes pour entraîner le rejet du véhicule et pour certaines, elle n’avait toujours pas rectifié la situation le 5 avril 2006 lors de la deuxième livraison du véhicule modèle.
[89] L’appelante a-t-elle induit l’intimée en erreur en lui laissant croire que le contrat se poursuivait normalement? Il est vrai que, dès le 17 mars 2006, l’appelante estimait que l’intimée serait incapable de livrer un véhicule conforme dans un délai raisonnable. Cependant, je ne crois pas que l’on puisse raisonnablement conclure que l’appelante a induit l’intimée en erreur en lui laissant croire que le contrat se poursuivait normalement. D’une part, l’intimée avait été mise en demeure plusieurs fois. D’autre part, toutes les communications sont rompues par l’appelante dès la réception du véhicule le 17 mars. Je ne vois pas comment l’intimée peut raisonnablement affirmer qu’elle ne se doutait pas que la poursuite du contrat était sérieusement remise en cause par l’appelante dans ces circonstances. L’appelante ne peut être tenue responsable des coûts encourus par l’intimée pour supporter ses derniers efforts pour sauver le contrat. La décision de poursuivre l’assemblage des ambulances en augmentant la cadence demeure une décision d’affaires de l’intimée, décision dont elle seule doit assumer les risques.
Référence : [2014] ABD 352[90] Pour conclure sur ce volet du pourvoi, je considère qu’on ne peut imputer un abus de droit à l’appelante. Dans la relation contractuelle établie entre les parties, l’appelante demeurait la cliente. L’intimée avait l’obligation de livrer un véhicule conforme à ses exigences dans le délai prévu explicitement par le contrat et elle a failli à la tâche. De son côté, l’appelante devait trouver une nouvelle flotte d’ambulances dans les plus brefs délais afin d’assurer la sécurité du public. Devant l’évidence grandissante, voire irréfutable, que l’intimée ne pourrait remplir ses obligations contractuelles dans un délai raisonnable, l’appelante se devait de faire le nécessaire pour être à la hauteur de ses propres obligations.
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