mercredi 13 août 2014

On ne peut déposer des extraits d'un interrogatoire préalable au procès sans avoir dénoncé son intention préalablement

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il y a deux façons d'utiliser la transcription d'un interrogatoire préalable au procès. D'abord, l'on peut tout simplement déposer des extraits (ou la totalité) de cet interrogatoire dans la mesure où on a donné l'avis prévu à l'article 398.1 C.p.c. ou l'on peut confronter le témoin avec son témoignage antérieur. Ce que l'on ne peut pas faire selon la décision récente rendue dans Francoeur c. Ouimet (2014 QCCS 3903) c'est de décider de déposer des extraits d'interrogatoire au procès sans en avoir préalablement avisé la partie adverse.


Dans cette affaire, l'Honorable juge Pierre-C. Gagnon est saisi d'un litige entre un locateur et et ses locataires en lien avec l’utilisation d’un local commercial pour l’exploitation d’un salon de massage érotique.
 
Lors du procès, avant de clore leur preuve, les Défendeurs demandent la permission de produire au dossier de la Cour, sans préavis, une douzaine d’extraits de l’interrogatoire au préalable du Demandeur qui a été tenu le 18 juillet 2012. Ce dernier s'objecte, indiquant être pris par surprise et faisant valoir qu'il est trop tard pour donner l'avis requis par l'article 398.1 C.p.c.
 
Le juge Gagnon accueille l'objection, étant d'avis que le procédé que tentent d'utiliser les Défendeurs est l'équivalent du "trial by ambush". Il souligne que cela est contraire à l'intention du législateur d'éviter les surprises au niveau de la preuve recueillie avant le procès:
[14]        L’article 398.1 C.p.c. renvoie aux règles de communication des pièces (art. 331.1 à 331.8 C.p.c.) dont celle de l’article 331.7 C.p.c., exigeant qu’en cas de défense écrite, les parties produisent leurs pièces au plus tard 15 jours avant le début du procès. 
[15]        Ajouté au Code de procédure civile en 2002, l’article 398.1 a modifié le droit antérieur, en offrant désormais l’option à la partie interrogeant hors cour de produire toute la transcription de l’interrogatoire, des extraits seulement ou rien du tout. De la sorte, le législateur a voulu favoriser la tenue d’interrogatoires préalables, à titre exploratoire, et ainsi hâter la divulgation de la preuve entre les parties, sans que la transcription soit obligatoirement versée au dossier, à la portée du juge du procès. 
[16]        Mais, pour que l’article 398.1 C.p.c. s’applique de façon juste et équitable, la partie qui interroge doit prendre position au plus tard lors de la signature de la déclaration commune de dossier complet. 
[17]        Raisonner autrement ouvrirait la porte à ce que les plaideurs choisissent tactiquement d’escamoter l’étape de l’article 398.1 pour ne prendre position que durant le procès. Ce serait une forme de « trial by ambush ». 
[18]        Dans le jugement Espace Construction inc. c. Vézina, la juge Paquette insiste sur le contrat judiciaire que constitue la déclaration de dossier complet : 
[28]  Le Tribunal rappelle d’abord l’importance de la déclaration de dossier complet. Elle vise le dévoilement complet de la preuve, assure un débat loyal et ouvert, permet d’éviter des ajournements et remises et oblige les avocats et leurs clients à préparer le procès à l’avance. Par contre, le Tribunal peut autoriser la production de pièces supplémentaires « s’il le considère nécessaire dans l’intérêt de la justice et aux conditions estimées justes ».
[19]        Dans l’arrêt Mode Striva inc. c. Banque Nationale du Canada, la Cour d’appel énonce six critères à soupeser au moment d’appliquer la Règle 17 : 
[10]  À l’occasion de l’exercice de cette discrétion, le juge doit examiner plusieurs facteurs de poids inégal dont : (1) les raisons qui ont empêché une partie de dévoiler à temps l’ensemble de sa preuve; (2) le préjudice subi par la partie si permission lui est refusée; (3) le préjudice subi par la partie adverse; (4) la responsabilité de l’avocat et du client à l’origine du retard; (5) la conduite du dossier par les avocats depuis son début; (6) la saine administration de la justice. 
[20]        En l’espèce, les défendeurs n’ont été confrontés à aucun empêchement. Ils ont simplement décidé de ne rien produire de la transcription du 18 juillet 2012 et de contraindre la demande à prouver ses allégations de A à Z. 
[21]        De plus, les défendeurs n’identifient pas spécifiquement les réponses contradictoires ou incompatibles de M. Francoeur, invitant plutôt le Tribunal à tout lire pour se faire une impression globale. 
[22]        Le refus de la production s’impose d’autant plus ici que durant le procès, le témoin concerné, Robin Francoeur, n’a jamais été confronté au sujet de ses apparentes contradictions, notamment durant son contre-interrogatoire le 14 mai 2014. 
[23]        En effet, plusieurs facteurs (acceptables ou inacceptables) peuvent expliquer pourquoi un témoin se contredit à 22 mois d’intervalle. Le procès doit fournir au témoin l’occasion de s’expliquer, le cas échéant. 
[24]        Le Tribunal refuse la production de quelque extrait de l’interrogatoire au préalable de Robin Francoeur tenu le 18 juillet 2012, produit par la défense ou par la demande. Le Tribunal n’en a rien lu.
Référence : [2014] ABD 321

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