vendredi 1 août 2014

On ne peut aller chercher par le déroulement des procédures un élément de preuve alors inconnu ou spéculatif qui deviendrait la base même de l’action en justice

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Oui je sais, cela manque d'humilité de traiter d'une décision que j'ai plaidé et où mon client a eu gain de cause. À ma décharge, je le fais rarement et il s'agit habituellement de requêtes ou de demandes que j'ai perdues. Que cela ne tienne, la décision rendue par l'Honorable juge Donald Bisson dans Carré Technologies inc. c. Omsignal inc. (2014 QCCS 3574) m'apparaît être une illustration parfaite de l'approche qu'un tribunal devrait adopter face à une réclamation qui est, dans son essence, spéculative.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse poursuit en contrefaçon la Défenderesse et deux de ses administrateurs et actionnaires, demandant une injonction et des dommages au montant de 960 000$. La particularité du recours tient au fait que la Demanderesse présume que la Défenderesse a commis les gestes qu'elle lui reproche puisqu'elle n'a jamais vu le produit de la Défenderesse. En fait, elle ne peut même affirmer qu'il existe.
 
Pour cette raison - et quelques autres - les Défendeurs demandent le rejet préliminaire du recours entrepris.
 
Le juge Bisson, après analyse du dossier, en vient à la conclusion que le rejet préliminaire s'impose. Il souligne à cet égard que l'on ne peut intenter un recours purement spéculatif dans l'espoir que la communication de la preuve viendra confirmer ses soupçons:
[21]        L’avocat de la demanderesse a tenté de distinguer la présente affaire de ces arrêts, en argumentant qu’il ne s’agit pas ici d’une partie de pêche à l’aveuglette, parce qu’il sait exactement ce qu’il veut aller chercher dans le cadre du déroulement des procédures et des interrogatoires hors cour à venir.  La Cour est d’opinion qu’il faut interpréter les propos de la Cour d’appel comme voulant dire ceci : on ne peut aller chercher par le déroulement des procédures un élément de preuve alors inconnu ou spéculatif qui deviendrait la base même de l’action en justice. 
[22]        Un demandeur ne peut utiliser les procédures en justice à des fins purement exploratoires, comme l’a décidé la Cour d’appel dans l’arrêt El-Hachem c. Décary.  L’avocat de la demanderesse a indiqué que, dans le cadre du déroulement des procédures, il va examiner avec sa cliente le vêtement intelligent des défendeurs, les schémas, les plans, etc.  L’avocat a même ajouté que, une fois cet examen réalisé, il se peut qu’il se soit trompé et qu’il n’y ait aucune contrefaçon : « on pourrait même s’être trompé, on verra ».  La Cour est d’opinion qu’on ne peut soumettre les défendeurs à une épée de Damoclès ou à une poursuite potentielle dans la seule mesure où « on verra ».  Un demandeur, avant de déposer une procédure comme la présente, doit avoir des faits justificatifs ou générateurs de responsabilité.  Si le produit contrefait comme tel n’existe même pas, le recours est prématuré et, à cet égard, les conditions de l’article 165 (4) Cpc sont rencontrées quant à toutes les parties défenderesses.
Commentaires:

L'approche du juge Bisson me semble être respectueuse de l'équilibre qui doit exister entre les droits de la demande et la défense. Il va de soi qu'il n'est pas question de requérir qu'une partie demanderesse ai - avant même de déposer ses procédures - déjà en main toute la preuve nécessaire à son recours. Par ailleurs, la nuance qu'apporte le juge Bisson est importante, i.e. le fondement même de la cause d'action ne saurait être spéculatif ou inconnu au moment de l'introduction du recours.
 
Référence : [2014] ABD 306

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