mercredi 14 août 2013

Règle générale ce sera au juge du fond de déterminer si une partie a implicitement renoncé au secret professionnel

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

J'attire rarement votre décision sur des affaires que j'ai personnellement plaidé (et encore moins souvent sur des affaires que j'ai perdues...) parce qu'il n'est pas évident de commenter objectivement une cause dans laquelle on est impliqué. Je fais une exception aujourd'hui parce que le principe posé par la Cour d'appel dans l'affaire Placements Banque Nationale inc. c. Quigley (2013 QCCA 1358) me semble important et que, à ma connaissance, c'est la première fois que la Cour se prononce sur la question.



C'est dans le cadre d'un recours en oppression et en abus de droit que se soulève la question. Les Intimés, anciens employés et actionnaires minoritaires d'une des Appelantes, allèguent au mérite que la décision de les forcer à vendre leurs actions à l'aube d'une transaction qui aurait eu pour effet d'augmenter exponentiellement la valeur de celles-ci est oppressive et abusive. Les Appelantes rétorquent que ce rachat forcé est permis par les dispositions de la convention unanime d'actionnaires en vigueur entre les parties et qu'elles n'ont commis aucune faute.

Dans le cadre d'un interrogatoire au préalable d'un des représentants des Appelantes, le procureur des Intimés pose des questions à propos de la décision de forcer le rachat des actions et du timing de cette décision. En ce qui a trait à ce dernier élément, le représentant interrogé laisse sous-entendre que ce sont ses aviseurs légaux qui ont pris la décision ou qui lui ont indiqué qu'il fallait procéder à un moment précis.

Les Intimés ont fait valoir qu'en donnant ces réponses, le représentant des Appelantes a renoncé implicitement au secret professionnel. La juge de première instance leur a donné raison à ce chapitre, d'où le pourvoi des Appelantes.

Au nom d'un banc unanime de la Cour, l'Honorable juge Dominique Bélanger indique qu'il était prématuré pour la juge de première instance de trancher la question. En effet, elle est d'avis que c'est le juge au mérite, qui aura le contexte complet devant lui, qui sera le mieux placé pour décider si les Appelantes ont effectivement renoncé implicitement au secret professionnel:
[32]        Contrairement à la situation qui prévalait dans St-Alban, dans leur défense, les défendeurs n'allèguent pas qu'ils ont agi de bonne foi en raison d'une opinion juridique reçue. Ils allèguent plutôt avoir agi en conformité avec leurs droits. 
[33]        Cela n'empêche pas qu'il soit possible que les appelantes aient décidé de racheter, avant la transaction, les actions des intimés pour éviter de devoir leur verser une part des profits, s'estimant dans leur droit d'agir ainsi. Si tel était le cas, cela serait si simple de le dire et tout le débat sur le secret professionnel deviendrait inutile. 
[34]        Par contre, si les appelantes continuent de se réfugier derrière l'opinion de leurs aviseurs, il se pourrait bien qu'il soit nécessaire de conclure à une renonciation implicite au secret professionnel, car, à ce moment-là, l’objet de l’opinion pourrait devenir un fait juridique. Tout est question de contexte et de circonstances, dont nous n’avons pas tous les tenants et aboutissants. 
[35]        J'estime que dans la présente affaire, il était prématuré de déclarer qu'il y a eu renonciation implicite au secret professionnel et que la juge aurait dû s’abstenir de le faire, parce qu'elle avait nécessairement une vue partielle et imparfaite du dossier, et ce, sans même savoir si, au mérite de l’affaire, le juge saisi du fond estimera nécessaire de le faire ni dans quelle mesure. 
[36]        Il appartiendra au juge saisi du fond de décider, à la lumière de toute la preuve entendue et des positions prises, si, dans les circonstances, il est possible d'inférer une renonciation à la confidentialité de l'opinion de l'avocat et de baliser tous les impacts de sa décision. 
[37]        J’estime donc que l’appel doit être accueilli, sans frais, et que l’objection 0-5 doit être maintenue.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/14S38nx

Référence neutre: [2013] ABD 324

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