Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Dans le cadre de cette chronique, j'ai déjà eu l'opportunité de souligner mes réserves importantes quant au courant de jurisprudence qui exige la démonstration du caractère blâmable du comportement d'une partie pour conclure à l'abus en vertu des articles 54.1 C.p.c. et suivants. Or, la question du comportement blâmable a refait surface dans une décision récente, celle-ci rendue au mérite de l'affaire. En effet, dans Conseillers Fuller Landau inc. c. Bluberi Jeux et technologies inc. (2014 QCCS 3861), la Cour supérieure a refusé de considérer une demande reconventionnelle abusive en raison du fait que la Défenderesse croyait avec sincérité en son bien-fondé.
Les Demanderesses dans cette affaire intentent des procédures en dommages par lesquelles elles réclament à la Défenderesse le paiement d’une commission de 265 000 $ découlant d’un contrat de recherche de financement ainsi que des honoraires impayés. Elles allèguent que le financement obtenu par la Défenderesse l’a été grâce au travail de leur représentant.
La Défenderesse conteste le recours, demande l'annulation du contrat et dépose une demande reconventionnelle. Dans cette dernière, elle recherche une condamnation des Demanderesses à des dommages et intérêts compensatoires de 1 202 009,88$, des dommages de 100 000 $ pour l’utilisation déloyale d’information confidentielle et à des dommages punitifs de 10 000 $.
Suite à l'audition du procès, l'Honorable juge Karen Kear-Jodoin en vient à la conclusion que le recours des Demanderesses est bien fondé. Elle rejette concurremment la demande reconventionnelle.
Elle se penche ensuite sur la prétention des Demanderesses selon laquelle la demande reconventionnelle est abusive. Elle ne retient pas ces prétentions puisque la Défenderesse - même si son recours s'est avéré sans quelque fondement que ce soit - avait une croyance de bonne foi et sincère du bien-fondé de son recours:
Peu importe la sincérité d'une partie, lorsqu'elle entreprend des procédures qui ne sont fondées sur aucun élément factuel solide, la Cour devrait constater l'abus. Pour cette raison, je suis respectueusement en désaccord avec le raisonnement de la Cour dans la présente affaire.
Référence : [2014] ABD 346(99) La jurisprudence a interprété les termes de cet article comme nécessitant la démonstration d’un comportement répréhensible ou blâmable pour conclure à un abus.
(...)
(102) Bien qu’à l’heure actuelle, alors qu’une preuve exhaustive a été soumise au Tribunal, il est clair que ces prétentions étaient mal fondées, le Tribunal ne peut retenir que la défense et demande reconventionnelle était, au départ, frivole et abusive.
(103) Certes M. Duhamel se trompe lorsqu’il voit dans le comportement de M. Glorieux et de M. Paquin une « plan machiavélique ». Le Tribunal est cependant convaincu que M. Duhamel était persuadé du contraire. Bien que le Tribunal retienne le bien fondé de l’action des demanderesses, il est d’avis que M. Duhamel a témoigné avec sincérité et qu’on ne retrouve pas chez lui et dans la procédure qu’il a initié, le caractère blâmable qui caractérise une procédure abusive.Le contexte de cette affaire illustre très bien pourquoi l'exigence du comportement blâmable - présumant même qu'elle s'applique - est problématique. La Cour doit toujours pouvoir constater qu'un recours est objectivement abusif, particulièrement lorsqu'il est basé sur de pures conjectures comme semble l'avoir été la demande reconventionnelle en l'instance.
Peu importe la sincérité d'une partie, lorsqu'elle entreprend des procédures qui ne sont fondées sur aucun élément factuel solide, la Cour devrait constater l'abus. Pour cette raison, je suis respectueusement en désaccord avec le raisonnement de la Cour dans la présente affaire.
La présent billet a initialement été publié sur le site d'actualités juridiques Droit Inc.
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