vendredi 22 août 2014

La difficulté de faire rejeter au stade préliminaire des procédures volumineuses

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il existe un vieil adage au sein de la communauté de plaideurs qui veut que la partie qui a besoin de plusieurs heures pour plaider une requête en irrecevabilité ou en rejet d'action n'a probablement pas grand chance de succès. En effet, il est dur de convaincre la Cour que l'on se retrouve dans une situation claire et bien circonscrite lorsqu'on ne peut en faire le tour sommairement. La décision récente rendue par l'Honorable juge Louis J. Gouin dans De Melo c. Di Lena (2014 QCCS 4043) illustre bien cet adage.
 

Dans cette affaire, le Demandeur a introduit un recours en oppression contre les Défendeurs. La requête introductive d'instance est particulièrement volumineuse, comptant 496 paragraphes et 112 pièces, alors que la défense et demande reconventionnelle des Défendeurs compte tout près de 300 paragraphes et 5 pièces.

Suite aux interrogatoires préalables, les Défendeurs présentent une requête en rejet, plaidant que le recours à leur égard est manifestement mal fondé. La plaidoirie des Défendeurs à cet égard dure quelques heures.

Le juge Gouin en vient à la conclusion que le rejet préliminaire du recours n'est pas approprié en l'instance. En effet, la complexité du recours et l'impossibilité à ce stade de donner une réponse claire et bien circonscrite aux questions principales empêche le rejet préliminaire selon le juge Gouin:
[7]           Ainsi, le rejet d'une procédure aux termes des articles 54.1 et suivants C.p.c. doit reposer sur la conviction du Tribunal qu'elle est manifestement mal fondée, frivole ou dilatoire. 
[8]           Or, en deux heures de présentation et au moyen de références à seulement quelques-uns des allégués du Recours et à seulement certains extraits de quelques-unes des Pièces, les Défenderesses ont tenté d’établir que le Recours était manifestement mal fondé en faits et en droit, frivole et voué à l’échec, et abusif. 
[9]           Essentiellement, les Défenderesses soumettent que le débat est en fait limité à la prétention du Demandeur à l’effet que les Défenderesses avaient l’obligation d’avancer des fonds pour les opérations de Kebuki, ce qu’elles nient, et, qu’en bout de ligne, tout ce que recherche le Demandeur est tout simplement d’obtenir le remboursement de ses prêts et avances à Kebuki. 
[10]        Or, selon les Défenderesses, un recours en oppression aux termes des articles 450 et suivants de la Loi sur les sociétés par actions – Québec n’est pas disponible pour le créancier d’une société par actions, le Demandeur intentant le Recours à ce titre, et non à titre d’actionnaire ou d’administrateur. 
[11]        Le procureur des Défenderesses a plaidé comme s’il s’agissait d’une argumentation dans le cadre d’une audition au mérite du Recours, soit après une audition pleine, entière et complète, ce qui, de toute évidence, n’avait pas eu lieu, et avec une connaissance apparente de tous les faits du dossier, interprétés selon la théorie avancée par les Défenderesses. 
[12]        Effectivement, le procureur des Défenderesses est impliqué depuis plusieurs mois dans cette saga judiciaire, ce qui lui permet d’aller ainsi d’un extrait d’une Pièce à un extrait d’une autre Pièce, reliant ces quelques extraits à quelques-uns des 496 paragraphes du Recours, tout  en témoignant lui-même au passage. 
[13]        Par contre, le Tribunal n’a pas encore le bénéfice de cette connaissance du dossier et n’a pas eu l’opportunité d’entendre les témoins, ni d’analyser les Pièces (lesquelles n’étaient pas au dossier, le procureur du Demandeur ayant prêté au Tribunal sa copie pour les fins de l’audition de la Requête) selon la trame factuelle réelle du dossier. 
[14]        Le Tribunal n’est définitivement pas en mesure, à ce stade-ci, de conclure comme le souhaitent les Défenderesses, soit que le Recours est manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, téméraire et abusif.
 
Commentaire:

Loin de moi l'idée de suggérer qu'une requête introductive d'instance longue et volumineuse devrait en principe être impossible à rejeter au stade préliminaire. Reste que, comme le démontre cette décision, il sera généralement très difficile de bien pouvoir isoler les questions en litige et leur donner la réponse simple nécessaire pour le rejet préliminaire du recours.

Ainsi, bien que je ne voudrais certes pas encourager qui que ce soit à rédiger de longues procédures, cela a certain avantage au stade interlocutoire (et certains inconvénients, mais ceux-là devront faire l'objet d'autres billets).
 
Référence : [2014] ABD 335

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