samedi 7 juin 2014

Par Expert: l'irrecevabilité de la preuve d'expert sur la crédibilité d'un témoin

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Même si la tendance est à la libéralité quant à l'acceptation de la preuve d'expert, il reste quand même des domaines où le juge (ou le jury en matière criminelle) demeure souverain. C'est le cas de la crédibilité, pour laquelle il n'est pas permis de déposer une preuve d'expert comme l'indiquais la Cour d'appel dans l'affaire D.R. c. R. (2011 QCCA 703).


Dans cette affaire, l'Appelant reconnaît avoir causé la mort de son grand-père maternel le 17 août 2007. Il a présenté en première instance une défense de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.
 
Le jury a reconnu l'Appelant coupable de meurtre au deuxième degré, ce qui requiert la preuve hors de tout doute que l'appelant avait l'intention de causer la mort de son grand‑père ou l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'il savait être de nature à causer sa mort, et qu'il lui était indifférent que la mort s'ensuive ou non.
 
En appel, l'Appelante fait valoir qu'il n'a pas subi un procès équitable. Entre autres moyens, l'Appelant fait valoir que l'expert de la poursuite a outrepassé son champs d'expertise et empiété sur le domaine souverain du jury en invitant le jury à ne pas croire son témoignage à cause de son comportement après le décès de la victime. Son témoignage à cet égard aurait influencé indûment le jury, en ne se limitant pas à donner son opinion quant à l’absence de troubles mentaux chez l’appelant au moment des faits à l'origine du décès de la victime.
 
Au nom d'un banc unanime qui accueille l'appel, l'Honorable juge Jacques Dufresne souligne que le juge de première instance a erré en ne donnant pas instructions au jury d'ignorer le témoignage de l'expert sur la crédibilité de l'Appelant. En effet, l'expert ne pouvait pas s'aventurer sur ce domaine qui dépassait le cadre de son expertise et qui relève de l'appréciation du jury:
[30]           Ainsi, les témoignages des psychiatres Gagné et Faucher sont tout à fait admissibles lorsqu’ils témoignent de leur opinion sur la présence ou non d’une maladie mentale chez l’appelant au moment du drame. Il en va autrement, toutefois, lorsque ces dépositions quittent le terrain de l'opinion médicale pour s'aventurer sur celui de l'appréciation de la preuve (sur les faits, sans relation avec son expertise, et sur la crédibilité). C'est le cas, d'ailleurs, du témoignage de l'expert Faucher.  
[31]           Son témoignage, quoique pertinent lorsqu'il exprime son opinion sur la santé mentale de l'appelant et sur son état au moment du drame, déborde de sa mission d'expert lorsqu'il exprime, par ailleurs, son opinion sur les faits (son appréciation de la preuve) et sur la crédibilité du témoignage de l'appelant, comme le montrent les extraits suivants tirés de son témoignage : 
[...] 
[36]           Le témoin expert jouit nécessairement d’une influence auprès du jury. Son expertise pointue dans un domaine d’expertise souvent inconnu des jurés suscite généralement un grand intérêt chez ces derniers. Lorsqu’il témoigne de son expertise, le poids accordé à son témoignage ne risque pas, a priori du moins, de créer une distorsion ou un déséquilibre, d’autant que son point de vue technique, médical ou scientifique par rapport aux faits de la cause peut être objet d’une preuve contradictoire. Cependant, lorsque l’expert donne son interprétation des faits, s’exprime sur la crédibilité des témoins ou qu’il tire des inférences de la preuve, sans connotation avec son domaine d’expertise, le risque de causer un préjudice à l’accusé est réel. Une mise en garde spécifique du juge au jury est alors requise pour rétablir l’équilibre. C’est ce qui devait être fait ici et qui ne l’a pas été. 
[37]           L'interprétation que donne l'expert Faucher à certains faits aurait nécessité une mise en garde particulière au jury. Même si les directives générales s'avéraient suffisantes ici pour contrer le risque que le jury accorde trop de poids aux interprétations ou inférences factuelles de cet expert, son témoignage a, néanmoins, débordé le cadre de son expertise. 
[38]           En effet, questionné par l'avocate du ministère public, l'expert Faucher exprime une opinion personnelle sur les faits mis en preuve, évoquant une hypothèse purement spéculative qui relève davantage de l'argumentation que du témoignage d'expert dans le domaine de la psychiatrie :   
[...] 
[43]           Ces mises en garde générales sont insuffisantes en l'espèce. Un expert ne peut généralement pas témoigner sur des questions qui ne relèvent pas de son expertise. Or, comme le témoignage de l'expert Faucher outrepassait sa mission, s'écartait de l'objet médical et scientifique de son opinion et risquait de causer préjudice à l'appelant, le juge devait formuler une mise en garde particulière pour éviter que le jury ne soit indûment influencé par son témoignage sur des sujets qui débordaient le cadre de son expertise psychiatrique. L’expert a abondamment commenté la preuve et remis en question la crédibilité du témoignage de l’accusé, sans égard à son champ d’expertise. En pareil cas, des directives au jury sont nécessaires, comme la Cour suprême l'a décidé dans l'arrêt R. c. Marquard :
Référence : [2014] ABD Expert 23

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