vendredi 30 mai 2014

L'équilibre entre le droit d'amender - même tardivement - et l'intérêt de la justice

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Il est vrai qu'il est théoriquement possible d'amender en tout état de cause, et ce même lors du procès ou en appel. Reste que plus l'amendement est tardif, plus il risque d'être jugé contraire aux intérêts de la justice et rejeté. C'est le cas par exemple lorsque l'amendement fait au procès forcera les parties à faire de la preuve additionnelle qui n'est pas prévue. L'affaire Aqua Innovation inc. c. SPA des neiges inc. (2014 QCCS 2064) illustre bien ce propos.


Dans cette affaire, le matin de la cinquième et dernière journée de procès prévue, la Défenderesse demande la permission d'amender sa demande reconventionnelle pour une sixième fois. Jugeant cet amendement contraire aux intérêts de la justice, la Demanderesse s'y objecte.
 
Après avoir initialement pris la position que son amendement ne changeait pas la nature de sa contestation et demande reconventionnelle, la Défenderesse fait en quelque sorte volte-face et admet que l'inverse est vrai. Elle fait cependant valoir que toute la preuve nécessaire des deux parties est déjà au dossier.
 
L'Honorable juge Robert Dufresne n'est pas tendre dans sa décision de rejeter la demande d'amendement. Il souligne d'ailleurs qu'il ne revient pas à une partie de juger de la question de savoir si l'autre a fait toute la preuve nécessaire à la contestation d'un moyen donné. En raison du caractère tardif de l'amendement et de son impact sur l'instance - et possiblement - la preuve, le juge Dufresne est d'avis que l'amendement ne doit pas être permis:
[19]        Or, après les représentations de la demanderesse, la défenderesse reconnaît que son amendement soulève un moyen nouveau à l’égard de l’ensemble du contrat hormis quant au hammam.  La demanderesse soumet de plus que cet amendement va à l’encontre d’un aveu judiciaire par lequel la défenderesse reconnaît devoir la somme qu’elle a reçue de son assureur.   
[20]        La nouvelle demande de résolution du contrat cherche une conclusion ordonnant que celle-ci intervienne en l’absence de restitution des prestations.   
[21]        La défenderesse soutient qu’à tous égards, la preuve couvre déjà cette possibilité de résolution, et ce, tant en demande qu’en défense. 
[...]         
[24]        Il n’appartient pas à une partie de déterminer que l’autre partie a couvert, par sa preuve, des éléments pertinents que lui incombe son fardeau de preuve.  
[25]        Un amendement ne saurait être accordé lorsqu’il change le recours déjà entrepris, surtout au matin du cinquième et dernier jour d’audition puisque les plaidoiries étaient sur le point de commencer. 
[26]        Déconsidèrent également l’administration de la justice, les représentations d’un procureur qui, en deux séances différentes de Cour, maintient que l’amendement ne change pas son recours et qui, finalement, reconnaît qu’il s’agit là d’un motif de droit nouvellement apparu des suites de son examen du dossier. 
[27]        Autoriser l’amendement recherché irait à l’encontre de la règle d’équité et de l’obligation qu’ont les parties d’agir équitablement et de manière transparente pour une saine administration de la justice.
Référence : [2014] ABD 215

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