Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Le législateur québécois a innové dans la Loi sur les sociétés par action en donnant le pouvoir à la Cour d'ordonner une enquête sur une société ou une autre société du même groupe dans certaines circonstances (essentiellement, la fraude, l'abus de droit ou l'oppression). Se pose alors la question de savoir ce que le législateur voulait dire par "groupe". L'Honorable juge Gratien Duchesne devait trancher cette question dans Blais c. Fréchette (2014 QCCS 1426).
Les Demandeurs, actionnaires minoritaires d'une des Mises en cause désirent obtenir une ordonnance de la Cour ordonnant une enquête sur les affaires de cette Mise en cause et de l'autre société Mise en cause en vertu des articles 421 et suivants de la Loi sur les sociétés par actions.
Les Demandeurs ne sont pas actionnaires de la deuxième Mise en cause, de sorte qu'ils doivent établir que celle-ci fait partie du même groupe que la première Mise en cause. Or, il n'y a pas de contrôle commun au niveau de l'actionnariat entre ses deux sociétés, mais factuellement les deux personnes morales se présentent comme faisant partie d'un groupe et sont contrôlées par des conjoints.
Après analyse, le juge Duchesne en vient à la conclusion que le contrôle en vertu de la loi doit être établi sur une base juridique et non factuelle. Ainsi, les deux sociétés ne font pas, au sens de la loi, partie du même groupe:
[22] Pour qu’une société (Créalogique) appartienne au même groupe que l’autre société visée (EBI), l’une doit être une filiale de l’autre ou encore les deux sociétés doivent être contrôlées par la même personne.
[23] La société est contrôlée par une personne si celle-ci détient suffisamment d’actions pour élire la majorité des administrateurs.
[24] Le législateur paraît avoir limité la définition au contrôle de jure sans que le Tribunal puisse considérer le contrôle effectif d’une personne ou d’une société. Le Tribunal a eu l’avantage de prendre connaissance d’un texte fort intéressant des auteurs Chevrette et Gray publié en mars dernier, qui sont d’accord avec les commentaires du ministre de la Justice sur l’interprétation qu’il faut donner au terme« contrôle », tel que défini à l’article 2 de la Loi. Avant de citer la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, les auteurs introduisent comme suit leurs commentaires sur la définition de « contrôle » :
« À l’instar de la LCSA, la LSAQ retient un critère de jure, plutôt qu’un critère de facto. Par conséquent, la jurisprudence fondée sur la LCSA et les lois sur les sociétés similaires qui interprètent le mot« contrôle » s’appliquent avec la même pertinence à la définition de« contrôle » au sens de la LSAQ. »
[25] M. le juge Gilles Blanchet a rejeté la requête pour rejet présentée plutôt par Créalogique dans le présent dossier sur la base des mêmes arguments soulevés devant le juge soussigné. D’une part, M. le juge Blanchet précise bien qu’« au stade préliminaire, l’irrecevabilité ne doit être prononcée que si l’absence de fondement de la demande apparaît de façon manifeste, en faits et en droit. » Les auteurs Charles Chevrette et Wayne D. Gray citent par ailleurs un extrait fort pertinent du même jugement :
« […]
[18] À priori, donc, la notion de « contrôle »s’apprécie en fonction d’un pourcentage de détention d’actions, et non en fonction du contrôle effectif qu’une société ou personne physique pourrait autrement exercer sur une autre société.
[…] »
[26] Les auteurs concluent : « Il faut cependant souligner que cette décision ne porte que sur une requête pour rejet d’enquête au stade préliminaire et qu’elle est basée sur une série de faits très particuliers. »
[27] En l’espèce, ni les défendeurs Fréchette et Racine ni la mise en cause EBI ne détiennent d’actions dans Créalogique. Martin Bélanger est seul actionnaire et administrateur de Créalogique et ne détient aucune action dans EBI.
[28] Bien sûr, EBI et Créalogique sont des personnes liées puisque Martin Bélanger et Martin Racine sont conjoints. Les deux sociétés se présentent comme un seul groupe sur la toile. Elles partagent le même numéro de téléphone, la même secrétaire, la même réceptionniste. Les employés occupent le même local de façon pêle-mêle et confuse. 96 % du chiffre d’affaires de Créalogique est généré par EBI.
[29] Il est difficile d’imaginer que les administrateurs n’échangent pas d’informations confidentielles. Les pièces P-11 à P-21 démontrent à quel point est présente l’affinité commerciale des deux sociétés.
[30] La preuve démontre que les demandeurs ont raison de craindre que leurs droits rattachés à leur statut d’actionnaire minoritaire puissent être en péril. La situation financière de EBI n’est pas de nature à apaiser ses craintes légitimement exprimées.
Référence : [2014] ABD 144[31] Cependant, la demande de la tenue d’une enquête sur Créalogique ne peut être accueillie.
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