Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Il existe, en droit québécois, un courant jurisprudentiel qui retient la responsabilité des administrateurs d'une personne morale lorsqu'ils ne divulguent pas les difficultés financières ou l'insolvabilité de la personne morale aux tiers avec lesquels la compagnie fait affaire. Heureusement selon moi, celui-ci est minoritaire. La jurisprudence dominante nous enseigne que cette seule non-divulgation n'est pas en soi fautive. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle en vient l'Honorable juge Stephen W. Hamilton dans Chenail Fruits et légumes inc. c. Produce Town inc. (2014 QCCS 1595).
Dans cette affaire, la Demanderesse intente des procédures en dommages contre la Défenderesse au montant de 118 928,47 $, lequel représente le prix des fruits et légumes livrés et non payés par cette dernière. La Demanderesse poursuit également un des actionnaires et administrateurs de la Défenderesse avec lequel elle traitait directement.
La responsabilité de la Défenderesse faisant peu de doute, c'est sur la responsabilité du Défendeur que le juge Hamilton s'attarde surtout. À cet égard, la Demanderesse soulève une litanie d'arguments justifiant sa position à l'effet qu'il est responsable.
La responsabilité de la Défenderesse faisant peu de doute, c'est sur la responsabilité du Défendeur que le juge Hamilton s'attarde surtout. À cet égard, la Demanderesse soulève une litanie d'arguments justifiant sa position à l'effet qu'il est responsable.
Un de ces arguments veut que le défaut de la part du Défendeur d'aviser la Demanderesse de l'insolvabilité de la Défenderesse est une faute en soi. Or, le juge Hamilton rejette cette prétention:
[37] Chenail plaide que la non-divulgation des difficultés financières de Produce Town voire même son insolvabilité constitue une faute indépendante de la part de Ramsay et cite certains jugements à cet effet.
[38] Je ne suis pas d’accord avec ce courant jurisprudentiel. Ce n’est qu’une autre façon de contourner le voile corporatif. De plus, si la loi impose à l’administrateur l’obligation de divulguer les difficultés financières de la société, les chances de toute société de sortir de ses difficultés financières seront anéanties. Comme le dit Martel, les administrateurs seront « incités à abandonner tout effort de relance aux premiers signes de difficultés financières. » Il faut un élément de plus que la simple non-divulgation de difficultés financières ou d’insolvabilité avant que l’administrateur commette une faute entrainant sa responsabilité personnelle.
[39] Martel identifie trois types de conduite des administrateurs d’une société insolvable qui peuvent entrainer leur responsabilité civile personnelle envers les créanciers de la société :
1. le fait de tromper délibérément les tiers contractants en leur faisant des fausses représentations ou en leur remettant de faux documents;
2. le fait de cacher aux tiers contractants l’insolvabilité de la société pour obtenir du crédit, sachant que cette insolvabilité est sans issue et que les tiers contractants ne seront pas payés; et
3. le recours à des manœuvres visant à soustraire frauduleusement des biens de la société à ses créanciers, au bénéfice direct ou indirect des administrateurs (la « fraude paulienne »).
[40] Dans le présent dossier, il n’y a aucune suggestion que Ramsay a fait des fausses représentations ou a remis de faux documents. Chenail allègue plutôt la faute d’omission de cacher l’insolvabilité de Produce Town.
Commentaire:[41] Suivant l’analyse de Martel, Chenail devait démontrer que Ramsay savait que l’insolvabilité de Produce Town était sans issue et que Chenail ne serait pas payée.
Voilà selon moi un excellent jugement. Ceux qui sont intéressés par celui-ci peuvent consulter notre billet du 26 octobre 2010 sur le même sujet (dans lequel nous citions plusieurs autres décisions au même effet).
Référence : [2014] ABD 161
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