lundi 14 avril 2014

Il est possible pour les tribunaux de retourner un dossier à l'arbitre de grief pour qu'il se prononce sur une question qu'il a omise

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les tribunaux n'aiment généralement pas retourner des dossiers aux instances inférieures. En effet, cela entraîne des coûts importants pour les parties et il est rarement dans l'intérêt de la justice de le faire. Reste que dans certaines circonstances c'est nécessaire, comme lorsqu'un arbitre de grief omet de se prononcer sur une des questions qui est plaidée devant lui. L'affaire Revera Retirement, l.p. c. Brodeur (2014 QCCS 1310) illustre une telle situation.


Les faits de cette affaire sont inusités.

La Requérante présente ici une requête en révision judiciaire à l’égard d’une décision de l’arbitre, lequel a rejeté sa requête préliminaire en rejet du grief, basée sur la prescription du recours. Elle allègue que l’arbitre a rendu une décision déraisonnable en s’écartant complètement du droit et de la jurisprudence applicables en semblable matière.
Fait particulier, le Syndicat Mis en cause est d'accord avec la Requérante que la décision est déraisonnable. Il plaide cependant que l'arbitre n'a pas traité de son argument principale, i.e. la renonciation tacite à la prescription. Elle demande donc le renvoi du dossier devant l'arbitre et non la cassation pure et simple de la sentence comme le demande la Requérante.
L'Honorable juge Martin Castonguay en vient à la conclusion que la solution appropriée est de retourner le dossier à l'arbitre en l'instance:
[17] Les commentaires de la Cour d’appel dans l’arrêt Panneaux Vicply inc. c. Guindon sont toujours d’actualité. En voici un extrait : 
« A) Le principe  
22. Il est un principe bien établi que le pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure se limite à déterminer la légalité de la décision d'un tribunal administratif et qu'il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle exercée par ce tribunal. C'est pourquoi, en règle générale, une fois qu'elle a déterminé que la décision de l'autorité administrative est manifestement déraisonnable et qu'il subsiste une matière relevant de la compétence du tribunal administratif, elle se doit, afin de respecter la compétence particulière du tribunal spécialisé, de retourner le dossier à son attention afin qu'il exerce sa compétence. Dans l'arrêt Guilde des employés de Super Carnaval (Lévis) c. Québec (Tribunal du travail)1, où l'appelante prétendait que le recours en évocation impliquait nécessairement un dessaisissement définitif du tribunal administratif, et que la Cour supérieure devait décider de l'affaire plutôt que simplement corriger l'illégalité commise, monsieur le juge LeBel résumait en ces termes le rôle et l'étendue des pouvoirs dévolus à la Cour supérieure à cet égard:  
(Nos soulignés)  
Avec respect pour l'avis contraire, l'appelant (sic), comme l'employeur, se méprend sur la nature et l'étendue du contrôle judiciaire de la Cour supérieure sur les organismes ou tribunaux administratifs comme le Tribunal du travail. (...) Cette juridiction fondamentale que la Cour supérieure détient en raison de son rôle comme tribunal général de droit commun, a toujours été considérée comme l'une de ses fonctions les plus caractéristiques au point qu'il soit impossible dans notre système constitutionnel de la déléguer à des (sic) tribunaux inférieurs (sic) ou de la supprimer totalement.   
Si fondamentale et si étendue que soit cette juridiction, elle demeure cependant un contrôle de régularité, de légalité et de protection de la justice fondamentale dans l'activité des tribunaux inférieurs et des corps administratifs. La Cour supérieure interviendra autant que nécessaire, mais pas davantage. Elle ne saurait s'arroger les fonctions propres des tribunaux inférieurs. Évocation veut dire appel à la juridiction générale de la Cour supérieure, pour corriger une irrégularité ou une injustice. Elle ne signifie pas la substitution de la Cour supérieure au corps ou au tribunal placé sous son contrôle judiciaire. Une telle conception du contrôle judiciaire comme instrument de substitution de la Cour supérieurs au tribunal inférieur violerait les limites de son rôle et ne respecterait (sic) pas l'autonomie juridictionnelle des organismes soumis au contrôle judiciaire, que réaffirmait la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada.  
Par ailleurs, notre Cour a décidé que dans la mesure où (sic) après la correction de l'illégalité subsistait une matière susceptible de relever de la compétence du tribunal inférieur, la Cour devait lui renvoyer le (sic) dossier.   
(Les soulignements de la Cour d’appel) 
[18] De toute évidence, l’Arbitre s’est contenté d’appliquer un principe erroné en droit, sans pousser plus loin son analyse de la preuve administrée devant lui. 
[19] Dans les circonstances, il est faux de prétendre que la décision de l’Arbitre est complète, puisqu’il n’a pas traité une matière relevant de sa compétence, bien que soulevée par une des parties. 
[20] L’omission de l’Arbitre ne saurait lui faire perdre compétence. 
[21] L’argument de la stabilité judiciaire ne peut faire échec au droit d’une partie, qui soulevant des moyens de défense, peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il soit statué sur ces prétentions par l’autorité administrative compétente, en l’occurrence, l’Arbitre. 
[22] Le Tribunal conclut qu’il y a lieu de faire droit en partie à la requête quant aux motifs de droit invoqués à l’encontre de la décision de l’Arbitre, tout en lui retournant le dossier, afin qu’il statue sur la question de la renonciation tacite à la prescription invoquée par le Syndicat.
Référence : [2014] ABD 148

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