mardi 18 mars 2014

Pour mettre de côté le principe de la publicité des débats, le fardeau appartient à celui qui demande la non-publication de démontrer un risque sérieux pour l’administration de la justice ou que les effets bénéfiques de la non-publication sont plus importants que ses effets préjudiciables

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La publicité des débats est un des fondements de la justice. Comme l'indiquait le célèbre juge Louis D. Brandeis "[p]ublicity is justly commended as a remedy for social and industrial diseases". Il n'est donc pas surprenant que la barre soit particulièrement haute pour que les tribunaux acceptent de mettre de côté cette publicité. J'attire aujourd'hui votre attention sur l'affaire 4488466 Canada inc. (Agence BMP) et Presse Ltée (La) (2014 QCCS 837) parce que l'Honorable juge André Vincent y traite justement des circonstances qui pourront donner lieu à une ordonnance de non-publication.

Dans cette affaire, les Requérantes demandent que soit prononcée une ordonnance de non-publication à l'égard des renseignements contenus dans la dénonciation au soutien du mandat de perquisition exécuté en juin 2013 dans les locaux mêmes des Requérantes. Ces énonciations assermentées ont été présentées à un juge de la Cour supérieure à la suite d’une enquête menée par le Bureau de la concurrence conformément aux articles 15 et 16 de la Loi sur la concurrence.
C'est dans ce contexte que le juge Vincent fait un synthèse des principes applications en matière de non-publication. Il souligne qu'en définitive, il appartient à celui qui demande la non-publication de démontrer un risque sérieux pour l’administration de la justice ou que les effets bénéfiques de la non-publication sont plus importants que ses effets préjudiciables:
[22]        L’état du droit en ce qui concerne les ordonnances de non-publication est maintenant bien établi au Canada. La Cour suprême, dans les arrêts Dagenais et Mentuk, établit un test en deux volets pour limiter le droit à la liberté d’expression : 
a)   elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;  
b)   ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice. 
[23]        Dans Toronto Star Newspapers Ltd c. Ontario, la Cour, tout en reprenant les critères des arrêts Dagenais et Mentuk, s’est penchée sur les ordonnances de scellés demandées par le Ministère public. Dans cette affaire, elle a eu à confirmer une fois de plus que le principe de la publicité des débats s’applique à tous les stades du procès ainsi qu’au stade le précédant : 
« Le critère de Dagenais/Mentuk, tel qu’il est appelé désormais, a été appliqué à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression et la liberté de la presse dans divers contextes juridiques. Notre Cour a récemment statué que ce critère s’applique chaque fois que l’exercice du pouvoir discrétionnaire à cet effet restrictif :  
                         Même si le critère a été élaboré dans le contexte des interdictions de publication, il s’applique également chaque fois que le juge de première instance exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression de la presse durant les procédures judiciaires. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé en conformité avec la Charte, peu importe qu’il soit issu de la common law, comme c’est le cas pour l’interdiction de publication […]; d’origine législative, par exemple sous le régime du par. 486(1) du Code criminel, lequel permet d’exclure le public des procédures judiciaires dans certains cas (Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 480] par. 69); ou prévu dans des règles de pratique, par exemple, dans le cas d’une ordonnance de confidentialité (Sierra Club du Canada c. Canada (ministre des Finances), 2002 CSC 41 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 522, 2002 csc 41).  
(Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43 (CanLII), [2004] 2 R.C.S. 332, 2004 CSC 43, par. 31)  
29         Enfin, dans Vancouver Sun, la Cour a approuvé expressément les motifs du juge Dickson dans McIntyre et a souligné que la présomption de publicité des procédures judiciaires s’applique aussi au stade précédant le procès. Elle a statué que le « principe de la publicité des débats en justice est inextricablement lié à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte et sert à promouvoir les valeurs fondamentales qu’elle véhicule » (par. 26). Ce principe s’applique donc à chacune des étapes de la procédure (par. 23-27).  
30         Le Ministère public fait maintenant valoir que le principe de la publicité des débats en justice, incorporé au critère de Dagenais/Mentuk, ne doit pas être appliqué lorsque le ministère sollicite la mise sous scellés des documents relatifs à une demande de mandat de perquisition. Cet argument est voué à l’échec en raison des décisions constantes rendues par notre Cour depuis plus de vingt ans : le critère de Dagenais/Mentuk a été appliqué régulièrement et à maintes reprises, chaque fois qu’une ordonnance judiciaire discrétionnaire restreignait la publicité des procédures judiciaires ». 
[24]        Elle précisait que :  
18            Une fois un mandat de perquisition exécuté, le mandat et la dénonciation qui a permis d’en obtenir la délivrance doivent être rendus publics, sauf si la personne qui sollicite une ordonnance de mise sous scellés peut démontrer que leur divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice : Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1992] 1 R.C.S. 175. La Cour a statué dans MacIntyre que « ce qu’il faut viser, c’est le maximum de responsabilité et d’accessibilité, sans aller jusqu’à causer un tort à un innocent ou à réduire l’efficacité du mandat de perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime » (le juge Dickson, devenu plus tard Juge en chef, s’exprimant au nom de la majorité, à la p. 184 ... 
21            Une fois le mandat de perquisition exécuté, la présomption devait jouer en faveur de la publicité des débats. La partie qui cherchait à interdire l’accès du public aux renseignements devait donc, après l’exécution du mandat, prouver que leur divulgation serait préjudiciable aux fins de la justice. 
(Soulignés ajoutés)  
[25]        De ces principes, le Tribunal conclut que le principe est la publicité des débats et que le fardeau appartient à celui qui demande la non-publication de démontrer un risque sérieux pour l’administration de la justice ou encore, que les effets bénéfiques de la non-publication sont plus importants que ses effets préjudiciables. 
[26]        Bien qu’aucune procédure judiciaire n’ait été portée contre qui que ce soit à ce jour, le Tribunal possède un pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la présente demande de la divulgation ou non des informations contenues dans les dénonciations de l’agent Poirier.
Référence : [2014] ABD 109

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442.
2. Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835.
3. Toronto Star Newspapers Ltd c. Ontario, [2005] 2 R.C.S. 188.

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