vendredi 14 mars 2014

L'absence complète de preuve en droit administratif

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous parlions plus tôt cette semaine des domaines dans lesquelles la norme de la décision correcte s'applique toujours en droit administratif. Or, un de ces domaines est celui où la décision rendue par le décideur administratif n'est pas supporté par quelque preuve que ce soit. C'est ce qu'on appelle l'absence complète de preuve. La décision rendue par l'Honorable juge André Prévost dans FTQ-Construction c. Legault (2014 QCCS 914) a attiré mon attention parce qu'il discute de cette notion.

Dans cette affaire, la Requérante demande la révision judiciaire d’une décision de la Commission des relations du travail. Elle plaide que la conclusion à laquelle en est venue la CRT à l'effet que c'est au moyen des gestes d’intimidation et de discrimination posés par des représentants qu'un local syndical s'assure d’une priorité d’embauche pour ses membres est erronée.

La Requérante plaide de plus que c'est la norme de la décision correcte qui s'applique puisque la conclusion de la CRT est supportée par une absence complète de preuve.
Le juge Prévost rejette ce moyen. Ce faisant, il rappelle ce qu'est une absence complète de preuve en droit administratif:
[16] Comme nous le verrons plus loin, contrairement à ce que prétend la FTQ-Construction, la Décision rapporte des éléments de preuve qui visent son implication relativement aux faits en cause. De l’avis du Tribunal, la contestation de la FTQ-Construction porte plutôt, d’une part, sur la suffisance de cette preuve et, d’autre part, sur l’existence d’un lien entre elle et MM. Gauthier et Bezeau. 
[17] Or, la Cour d’appel, dans Fraternité des policiers et policières de la MRC des Collines-de-l’Outaouais c. Collines-de-l’Outaouais (MRC des), rappelle la prudence que doit exercer les tribunaux avant de conclure à l’absence complète de preuve, tout en précisant la portée de cette expression, dans les termes suivants : 
[24] La notion d’absence complète de preuve a beaucoup évolué avec le temps, comme le démontrent les études qu’en font, parmi d’autres, les auteurs Garant et Lemieux. Saisi d’une demande de révision judiciaire fondée sur ce motif, le tribunal ne devrait intervenir que dans un cas patent; en tout état de cause, il ne peut s’agir pour lui « de contrôler la valeur ou le poids d’une preuve ou du fondement d’une décision, mais plutôt l’existence ou l’inexistence de toute preuve ». […]  
[25] Alors que de nos jours le critère d’intervention en appel sur des questions de fait est lui-même fort restrictif (c’est la norme de l’erreur manifeste et dominante), il serait à la fois paradoxal et erroné qu’en matière de révision judiciaire la notion d’absence de preuve permette à une cour supérieure de substituer son appréciation de la preuve à celle du tribunal administratif d’abord saisi du problème. Ce n’est donc manifestement pas de cela qu’il s’agit et il ne peut être question dans ce cadre de refaire un débat contradictoire sur une preuve partagée de part et d’autre, comportant des divergences, et qu’il revenait au tribunal administratif de soupeser avant de statuer sur les faits. Il n’y a absence de preuve que lorsque le syllogisme juridique sur lequel s’appuie la décision s’écroule en raison d’une lacune ou d’une discontinuité dans la preuve, précise et clairement circonscrite, qui prive complètement la décision d’une assise nécessaire.  
[références omises – le Tribunal souligne] 
[18] Ce n’est manifestement pas le cas en l’instance.
Commentaires:

Je n'ai jamais vraiment bien compris pourquoi l'absence complète de preuve devait donner lieu à la norme de la décision correcte. En effet, en l'absence complète de preuve, la décision rendue sera déraisonnable de toute façon. La question de la norme de contrôle me semble donc très théorique dans un tel cas.

Référence : [2014] ABD 105

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