dimanche 2 mars 2014

Dimanches rétro: un policier ne peut se décharger de sa responsabilité en rapportant la déclaration extrajudiciaire d'un tiers

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Même le travail d'un policier inclut le recueil de témoignages sur la scène d'un accident, il ne saurait être question pour les tribunaux d'accepter une telle preuve par ouï-dire pour permettre à ce policier de se disculper. C'est ce que nous enseignait la Cour suprême en 1968 dans Napper c. Cité de Sherbrooke ([1968] R.C.S. 716), jugement dont nous faisons état dans cette édition des Dimanches rétro.


Les faits de l'affaire sont simples.

L'Appelant était un concurrent dans une course cycliste dite «Le Tour du Saint‑Laurent», et dont l’étape ce jour-là était de Granby à Sherbrooke où la ligne d’arrivée avait été tracée dans une des rues. La chaussée d’environ 38 pieds de largeur était libre de véhicules à cet endroit, mais à une quarantaine de pieds plus loin il y avait, du côté droit et faisant face à la ligne d’arrivée, deux véhicules de front: au bord du chemin, une voiture utilisée par les constables municipaux et parallèlement, à une distance d’environ deux pieds de celle-ci, l’automobile d’un touriste américain qui s’était arrêté là sur l’ordre d’un constable municipal.
 
L'Appelant était dans le deuxième groupe de concurrents à franchir la ligne d’arrivée. Ils étaient sept dans ce groupe à arriver de front et l'Appelant se trouvait à l’extrême gauche. Incapable de faire un arrêt brusque et de passer à droite de l’automobile arrêtée, l'Appelant a cherché à passer entre les deux véhicules. L’espace étant insuffisant, il est tombé et s’est blessé grièvement.
 
L’action que l'Appelant a instituée contre la municipalité a été rejetée par le juge de première instance, dont le jugement a été confirmé en appel par un arrêt majoritaire.
 
La Cour suprême, dans une décision rendue sous la plume de l'Honorable juge Pigeon, vient renverser cette décision. Ce faisant, elle indique que le juge de première instance n'aurait pas dû accepter une preuve disculpatoire présentée en défense. En effet, un des policiers en charge des lieux a rapporter les propos de l'automobiliste dont la voiture a causé l'accident. Cet automobiliste n'a pas témoigné au procès.  Il s'agissait selon le juge Pigeon d'une preuve par ouï-dire inadmissible:
Tout d’abord, le dossier fait voir que le juge de première instance a permis au constable de rapporter ce que Wheeler lui avait déclaré. Objection a été faite à cette preuve et n’a pas été accueillie. De la part de l’intimée, on a soutenu que cette déclaration était admissible parce qu’elle avait été spécialement alléguée. Cette prétention est doublement erronée. L’allégation ne suffit pas à rendre une preuve recevable. Léon c. Dominion Square Corporation. De plus, jamais, elle ne peut avoir pour effet de permettre de faire la preuve autrement que de la manière prévue par la loi. Or, il n’est pas de preuve plus irrecevable que celle de déclarations extra-judiciaires faites par un tiers. Marchand c. Héritiers Begnoche. Dans le cas présent, il était particulièrement contre-indiqué de recevoir à la décharge du constable impliqué dans l’affaire la déclaration qu’il avait lui-même recueillie. Il est évident que si la municipalité voulait se prévaloir de la version de l’automobiliste Wheeler, elle devait recourir à une commission rogatoire faute de pouvoir le citer comme témoin au procès.

Référence : [2014] ABD Rétro 9

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