vendredi 27 décembre 2013

Le préjudice corporel continu dont souffre un résident québécois serait une préjudice subi au Québec et donnerait juridiction au tribunaux québécois (vous l'aurez deviné, je ne suis pas d'accord)

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Lors de l'adoption du Code civil du Québec, et plus spécifiquement l'adoption des nouvelles règles de droit international privé codifiées au Livre X de celui-ci, le législateur québécois a pris la décision d'exclure le domicile de la partie demanderesse comme facteur de rattachement. Ainsi, il faudra retrouver un des facteurs objectifs de l'article 3148 C.c.Q. pour que les tribunaux québécois soient compétents pour entendre une action personnelle à caractère patrimoniale. Dans Mongrain c. Cormier (2013 QCCS 6308), la Cour supérieure en est venue à la conclusion que le préjudice corporel continu dont souffrait un résident québécois est un préjudice subi au Québec qui donne compétence aux tribunaux québécois.
 

Ayant fait une violente chute alors qu’il effectue des travaux sur la résidence des Défendeurs au Nouveau-Brunswick en juin 2010, le Demandeur subi un préjudice corporel important. Il souffre toujours aujourd'hui de lourdes séquelles de cet accident, dont l’amputation de sa main gauche.
 
Le Demandeur intente donc un recours en dommages contre les Défendeurs qu'il tient responsables de l'accident. Ces derniers font valoir que les tribunaux québécois ne sont pas compétents pour entendre cette affaire et présentent une exception déclinatoire. Subsidiairement, ils plaident que les tribunaux québécois, si compétents, devraient se prononcer forum non conveniens.
 
Saisie de ce moyen préliminaire, l'Honorable juge Marie-Anne Paquette en vient à la conclusion que les tribunaux québécois sont compétents pour entendre le litige puisque le préjudice corporel du Demandeur est continu et qu'il réside maintenant au Québec. Ainsi, selon la juge Paquette, une partie du préjudice est subi au Québec:
[16]     Il est établi que chacun des quatre (4) facteurs mentionnés au paragraphe 3148(3) C.c.Q. crée un lien suffisant avec la province de Québec pour fonder la compétence du tribunal québécois. En effet, les facteurs énumérés à l’article 3148(3) C.c.Q sont indépendants. Ainsi, la preuve d’un seul d’entre eux suffit donc à conférer compétence aux autorités québécoises.  
[17]     Par ailleurs, le préjudice est un critère autonome et n’est pas limité au lieu d’apparition de celui-ci. Autrement, ce critère de rattachement ferait double emploi avec celui du lieu de commission de la faute et deviendrait inutile. De plus, la notion de préjudice prévue à l’article 3148(3) C.c.Q. doit être interprétée largement. Il suffit qu’une partie du préjudice soit subie au Québec pour que les tribunaux québécois soient compétents. 
[18]     En l’espèce, le préjudice pour lequel le demandeur réclame, du moins en partie, est permanent et continu. Il a subi des séquelles physiques permanentes qui, chaque jour, ont des répercussions sur sa vie. Partant, pour établir la compétence des tribunaux québécois conformément aux critères de l’article 3148(3) C.c.Q, il suffit pour le demandeur de prouver qu’il réside maintenant au Québec. 
[19]     Sur ce point, la preuve qu’il offre est lourdement contestée.  
[20]     À lui seul, le bail entre le demandeur et son frère, pour la location d’un 1 ½ meublé à Laval à compter du 1er septembre 2012, constitue une preuve peu concluante. Cependant, le demandeur est présentement prestataire d’aide sociale au Québec et couvert par le régime d’assurance-maladie du Québec.  
[21]     Dans ce contexte, le Tribunal conclut que le demandeur a son domicile ou sa résidence au Québec et qu’une partie du préjudice, à tout le moins, continue à être subie au Québec.
Se tournant ensuite sur la question du forum non conveniens, la juge Paquette en vient à la conclusion que les tribunaux du Nouveau-Brunswick sont nettement mieux placés pour régler ce différend et elle utilise son pourvoir discrétionnaire pour décliner la compétence des tribunaux québécois.

Commentaires:

Avec égards, je suis d'avis que la juge Paquette en est venue à la bonne conclusion, mais pour le mauvais motif. En effet, je suis d'opinion que les tribunaux québécois n'avaient pas compétence pour entendre l'affaire en vertu des critères de l'article 3148 C.c.Q.
 
Comme je le mentionnais en introduction, le lieu du domicile de la partie demanderesse n'est pas un facteur de rattachement qui peut donner compétence aux tribunaux québécois. C'est pourquoi nos tribunaux ont déjà décidé que le préjudice qui est ressenti au Québec simplement en raison du fait que la partie demanderesse y réside n'est pas un préjudice subi au Québec (voir Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59; Option Consommateurs c. Infineon Technologies, a.g., 2011 QCCA 2116; et Quebecor Printing Memphis Inc. c. Regenair Inc., 2001 CanLII 27960).
 
En l'instance, l'accident a eu lieu au Nouveau-Brunswick et le préjudice, i.e. les séquelles corporelles, y a été subi. Le fait que ces séquelles continueront leur effet dans le futur et que le demandeur réside maintenant au Québec n'implique pas que le préjudice est subi au Québec au sens de l'article 3148 C.c.Q. Autrement, c'est accepter que le seul fait que le Demandeur, après l'accident et l'avènement du préjudice, s'installe au Québec donne compétence aux tribunaux québécois. C'est accepter que le domicile du demandeur est attributif de compétence pour les tribunaux québécois, ce que le législateur a expressément exclu comme éventualité.
 
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/K8XlRr

Référence neutre: [2013] ABD 517

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