Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
En matière contractuelle, le législateur québécois, sauf exception, donne acte complet au choix fait par les parties de la loi qui gouvernera les relations entre les parties. Reste que, comme toute autre matière contractuelle, l'intention des parties doit apparaître clairement. Dans la décision récente rendue dans l'affaire Agat Laboratories Ltd. c. Englobe Ltd. (2013 QCCS 6272) l'Honorable juge Catherine La Rosa en vient à la conclusion que les parties qui stipulent qu'un contrat sera "interprété" en vertu d'une loi particulière, désirent que l'ensemble de leur relation contractuelle soit régie par cette loi.
Dans cette affaire, les parties ne s'accordent pas sur la loi qui doit régir un contrat de service qui est intervenu entre elles. Elles soumettent donc l'interprétation de la clause suivante à la juge La Rosa:
24. This agreement shall be interpreted in accordance with the laws of the Province of Alberta.
La Demanderesse plaide que cette clause indique clairement que la relation contractuelle entre les parties est régie par le droit albertain. La Défenderesse, pour sa part, plaide plutôt que seule l'interprétation de la convention est soumise au droit albertain, alors que l'application de la convention elle est soumise au droit québécois (puisque aucune loi n'est expressément stipule et que le jeu des articles 3112 et 3113 C.c.Q. désigne le droit québécois).
Après analyse, la juge La Rosa en vient à la conclusion que la Demanderesse a raison. À cet égard, elle indique que l'interprétation d'une convention englobe toute la relation contractuelle entre les parties, incluant l'application:
[15] Puis, pour résumer l’interprétation générale des articles 3111 et 3112 C.c.Q., le Tribunal fait siens les propos du professeur H. Patrick Glenn :
Le premier alinéa de l’article 3111 dispose que l’acte juridique est régi « par la loi désignée expressément dans l’acte ». Le choix des parties porte directement dans ce cas sur la loi applicable, qui devient applicable uniquement à cause de ce choix. Il n’y aurait pas une simple localisation du contrat en vertu de laquelle la loi applicable serait établie par le juge. Le caractère subjectif de l’article 3111 est confirmé par d’autres de ses éléments. Ainsi, le choix est valable même si l’acte ne présente pas un élément d’extranéité (art. 3111, al. 1); deux cocontractants domiciliés au Québec peuvent conclure un contrat à exécuter au Québec et soumettre le contrat à la loi new-yorkaise, ou à toute autre. Seules les dispositions impératives de la loi de l’État qui s’appliquerait en l’absence de désignation ne peuvent pas être évitées de cette façon (art. 3111, al. 2). La fraude à la loi est ainsi sanctionnée; en dehors du cas de l’intention frauduleuse, le choix des parties est libre. De même, encore en suivant la Convention de Rome, les parties peuvent désigner expressément la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement d’un acte juridique. Le dépeçage est toléré, ce qui affaiblit la notion d’un contrat qui dans son ensemble est soumis à une seule loi étatique. Le caractère subjectif du régime général est accentué aussi par l’article 3112, qui va à l’encontre de la Convention de Rome en écartant la loi choisie par les parties si la loi désignée rend l’acte juridique invalide (en concluant un acte juridique, les parties n’auraient pas voulu sa nullité). (…)
[Soulignements ajoutés]
[...]
[23] Le Tribunal est d’avis que le mot « interpreted » employé à l’article 7.14 du contrat de service réfère à la loi choisie par les parties applicable à l’ensemble du contrat.
[24] Mentionnons en effet que les synonymes indiqués au terme « interpreted » sont :
· To clarify, explain, elucidate;
· To construe;
· To convey.
[25] Comme le soutient Agat, le terme « interpreted », selon le sens courant, engloberait donc l’application.
[26] Or, il est un principe connu selon lequel il faut donner aux mots le sens qu’ils ont dans la lange courante. En d’autres termes, l’interprétation d’un contrat serait intrinsèquement liée aux lois qui le gouvernent. C’est d’ailleurs de cette façon que s’expriment les auteurs Castel et Walker:
The case law generally treats the interpretation of a contract as intrinsic to the proper law of the contract. A clause that a contract is to be “construed” or “interpreted” according to a particular system of law is treated as an agreement on the governing law. »
[Soulignements ajoutés]
[27] Ajoutons que dans l’affaire Vita Food Products Inc. v. Unus Shipping Co., décision de principe en matière de conflits de lois, le Conseil privé a jugé qu’il n’y avait aucune différence substantielle entre les termes « construed » et « governed » contenus à une clause de choix de loi :
22 It is, however, necessary before parting with this aspect of the case to consider whether The "Torni" [1932] P. 78, 101 L.J.P. 44 (in which the Court of Appeal affirmed the judgment of Langton, J.) should be applied, as the respondent's counsel contend it should, in the respondent's favour. The bills of lading in that case had been issued in Palestine, a territory over which His Majesty held a mandate. Two bills of lading, the only bills material in the case, had been endorsed to Hull merchants. The shipment was to Hull. The question was whether these bills of lading were to be construed according to their actual terms or whether those terms were supplemented or supplanted by the Hague Rules, there being a Sea Carriage of Goods Ordinance in Palestine corresponding to the Newfoundland Act. There were certain differences between that case and the present. One was that the bills of lading had a clause providing that they were "to be construed in accordance with English law" not as in the present case "shall be governed by English law." In their Lordships' judgment that distinction is merely verbal and is too narrow to make a substantial difference. The construction of a contract by English law involves the applications to its terms of the relevant English statutes, whatever they may be and the rules and implications of the English common law for its construction, including the rules of the conflict of laws. In this sense the construing of the contract has the effect that the contract is to be governed by English law.
[…] »
[Soulignements ajoutés]
[28] Du côté canadien, en 1974, la Cour suprême, dans l’arrêt Drew Brown Ltd. c. Le navire “Orient Trader”, sous la plume du juge Laskin, a conclu qu’une clause prévoyant qu’un connaissement (bill of lading) doit être « interprété » conformément au droit américain signifie que le droit américain doit s’appliquer à tout le contrat :
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1fJRpYU66 Les connaissements stipulaient non seulement qu'ils étaient exécutoires sous réserve des dispositions du Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis et que le transporteur devait pouvoir se prévaloir, notamment, de la loi dite Fire Statute, 46 United States Code, article 182, mais encore qu'à moins de stipulation contraire (cette réserve ne s'applique pas en l'espèce), [TRADUCTION] "le présent connaissement sera interprété en conformité du droit des États-Unis d'Amérique". À mon avis, cela signifie que la loi des États-Unis doit régir les contrats de transport en l'espèce ou, pour employer l'expression usuelle, que le droit applicable à ces contrats est le droit des États-Unis. À mon avis, ceci signifie que le droit aux dommages-intérêts, s'il y a lieu, et les réclamations en dommages-intérêts sont régis par le droit des États-Unis autant que l'est la question de la violation fondamentale découlant du déroutement déraisonnable.
Référence neutre: [2013] ABD 516
Autre décision citée dans le présent billet:
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