mercredi 25 décembre 2013

Le congédiement fait de manière humiliante ou de mauvaise foi donne droit à l'attribution de dommages moraux

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous en avons déjà discuté dans le passé: un congédiement n'est jamais une expérience plaisante. Ainsi l'employé congédié ne pourra réclamer des dommages moraux en raison de l'impact qu'a le congédiement sur lui á moins que celui-ci soit fait de manière abusive ou particulièrement humiliante. Or, l'Honorable juge Robert Mongeon a retrouvé de telles circonstances dans Meerovich c. Normand (2013 QCCS 6311).



Dans cette affaire, le juge Mongeon est saisi de procédures en dommages suite au congédiement des Demandeurs que ceux-ci allèguent a été fait sans cause et de manière abusive. La Défenderesse rétorquent que le congédiement des Demandeurs a été fait pour un motif sérieux de sorte que leur réclamation doit échouer.

L'analyse du juge Mongeon l'amène à conclure que la Défenderesse n'a pas fait la preuve de motifs sérieux qui justifieraient le congédiement. Il se penche alors sur les réclamations monétaires des Demandeurs, dont celle pour dommages moraux.

Il souligne à ce chapitre que les dommages moraux sont loin d'être automatiques en matière de congédiement. Il faut retrouver de l'abus ou des circonstances indûment humiliantes pour accorder ce type de dommages. Or, selon le juge Mongeon, c'est le cas en l'espèce:
[53]        Quant aux dommages moraux, il y a lieu d’y réfléchir plus longuement.  Les dommages résultant d’un congédiement injustifié peuvent être de deux ordres.  L’absence de délai congé suffisant d’une part et, d’autre part, des dommages résultant de la façon dont l’employeur a procédé pour mettre fin au contrat d’emploi.  Regardons les faits que la preuve a révélés, et au risque de se répéter, le Tribunal retient d’abord l’embauche d’un nouveau couple de concierges environ un mois avant l’annonce du 4 septembre.  En d’autres termes, la partie défenderesse s’est parfaitement rendue compte du fait que si elle prenait une attitude formelle à l’égard du couple Meerovich, elle risquait de se réveiller du jour au lendemain sans concierge dans l’immeuble.  Elle a donc protégé ses arrières et s’est arrangée pour toujours avoir des concierges dans l’immeuble. 
[54]        On a donc procédé à l’embauche d’un nouveau couple de concierges, sans avoir préalablement donné quelque préavis que ce soit à M. Meerovich ou à son épouse, sans avis à l’effet que leur emploi était en jeu, sans qu’on leur adresse des critiques sur certains de leurs comportements, sans leur laisser croire qu’on était pour les mettre à la porte comme on l’a fait le 4 septembre 2003. 
[55]        Une fois ses arrières assurés, la partie défenderesse a choisi de confronter M. Oleg Meerovich, de l’humilier, de l’accuser de vol et, ce faisant, de rompre définitivement le lien d’emploi qui lie M. Meerovich à la partie défenderesse. 
[56]        M. Meerovich demande alors une lettre formelle de congédiement.  Cette lettre arrive quelques jours plus tard et c’est seulement à ce moment-là que M. Meerovich apprend qu’il n’a pas été congédié le 4 septembre, contrairement à la preuve que le Tribunal a déjà couverte, mais que son congédiement se produira dans un mois car la partie défenderesse est devenue consciente dans l’intervalle de la nécessité de donner un préavis minimum d’un mois pour satisfaire aux exigences de base de la Loi sur les normes du travail. 
[57]        Cette même lettre du 5 septembre oblige M. Meerovich à se rapporter au service des nouveaux concierges et de recevoir leurs instructions quant aux tâches qui lui seront attribuées.  On a littéralement dépouillé les Demandeurs de leur travail de concierge qu’on a donné à un autre couple et on les oblige à travailler au service de ces nouveaux concierges, le tout dans un contexte d’accusations de vol non prouvées.  Le Tribunal se demande si on peut imaginer de plus grande humiliation. 
[58]        Le Tribunal conclut que, dans le processus de terminaison du lien d’emploi, l’employeur n’a pas agi de bonne foi.  Il s’y est pris par des moyens détournés en accusant M. Oleg Meerovich de vol et de fraude, pour mettre fin à un contrat d’emploi, et s’est bien gardé d’en prouver le premier mot.  Accuser quelqu’un de vol et ne pas le démontrer, et humilier l’employé en le dépouillant de ses principales fonctions pour ensuite espérer que l’employé va servilement accepter d’exercer une tâche subalterne pour la durée du mois de préavis qu’on veut lui donner, constitue un abus dans la façon dont on s’y est pris pour mettre un terme à l’entente de travail dont bénéficiait chacun des Demandeurs. 
[59]        La partie défenderesse a soumis dans ses notes et autorités une décision importante, celle de Standard Broadcasting c. Stewart rapportée à Éditions Yvon Blais, 1994-64347, et le Tribunal croit utile de citer quelques passages de cette décision, notamment au paragraphe 38 où on lit ceci (sous la plume du juge Jean-Louis Baudouin) : 
La théorie de l'abus de droit en matières contractuelles fait désormais partie à la fois du droit jurisprudentiel (Soucisse c. Banque Nationale du Canada, 1981 CanLII 31 (CSC), [1981] 2 R.C.S. 339; Houle c. Banque Nationale du Canada, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 122) et désormais de notre droit législatif (art. 6, 7 et 1375 C.c.. En matière de contrat de travail, l'article 2092 C.c. la reconnaît aussi explicitement).  Elle ne sanctionne plus seulement comme l'écrit avec raison Madame la juge Claire L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Houle, l'acte intentionnel ou de mauvaise foi, mais aussi  «.....l'exercice déraisonnable du droit.....» (p. 164).  La jurisprudence récente a d'ailleurs fait écho à cet élargissement, en s'abstenant d'exiger désormais, dans le cas du contrat de travail, la mauvaise foi de l'employeur, et en se contentant d'un exercice du droit de congédier déraisonnable dans les circonstances particulières de chaque espèce 
[60]        Au paragraphe 39, le juge Baudoin continue :
Toutefois, la lecture de l'ensemble de la jurisprudence révèle clairement que l'intersection de la notion de délai-congé raisonnable et de celle d'abus de droit n'est pas sans créer certaines difficultés, notamment le risque d'une double indemnisation, dont le présent dossier me paraît être une bonne illustration …
[61]        Le Tribunal cite aussi les paragraphes 47 et 48 car, après avoir discuté longuement de la nécessité d’éviter la double indemnisation, le juge Beaudoin continue en disant : 
Ce principe ne signifie pas pour autant qu'il n'y a jamais de place en matière de contrat de travail à durée indéterminée pour une compensation additionnelle fondée sur la théorie de l'abus de droit.  Cette indemnisation, cependant, ne peut compléter l'indemnité de délai-congé que si l'on retrouve mauvaise foi, négligence et que, de ce fait, l'employé souffre des dommages additionnels dus à une faute identifiée de l'employeur.  Ainsi, il y a abus de droit si l'employeur est manifestement de mauvaise foi..., place volontairement ou par négligence l'employé «....dans une situation humiliante ou embarrassante....» ou encore si, à la suite du congédiement, il salit la réputation de son employé …
[62]        Le Tribunal vient à la conclusion, dans le cas présent, que d’accuser quelqu’un de vol sans le prouver et se servir de ce motif pour congédier M. et Mme Meerovich, de les obliger par surcroît à perdre leur titre de concierges et les obliger à travailler pour les nouveaux concierges qui les remplacent constitue une faute, une négligence et une humiliation que les Meerovich ne méritaient pas de subir en plus des inconvénients inhérents à la perte de leur travail.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1ihph3p

Référence neutre: [2013] ABD 513

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Standard Broadcasting c. Stewart, 1994 CanLII 5837 (C.A.).

1 commentaire:

  1. La Cour d'appel a rejeté la permission d'en appeler dans cette affaire dans 2014 QCCA 12 (http://www.jugements.qc.ca/php/decision.php?liste=73777250&doc=4C4FF6A568654D654F3A13B1EBED8DDB2BF942A3AD78DD36AB00FF20CB32B631&page=1).

    RépondreEffacer

Notre équipe vous encourage fortement à partager avec nous et nos lecteurs vos commentaires et impressions afin d'alimenter les discussions à propos de nos billets. Cependant, afin d'éviter les abus et les dérapages, veuillez noter que tout commentaire devra être approuvé par un modérateur avant d'être publié et que nous conservons l'entière discrétion de ne pas publier tout commentaire jugé inapproprié.