mercredi 11 décembre 2013

La Cour d'appel garde le cap: la vente sous contrôle de justice ne purge pas les baux enregistrés

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Le droit change constamment. En effet, il est de la nature du droit qu'il soit en constante évolution afin de s'adapter à la réalité sociétaire présente. C'est d'ailleurs pourquoi, en droit civil, les tribunaux québécois ne sont pas liés par leurs propres décisions. Ainsi, la Cour d'appel peut toujours revenir sur une décision qu'elle a rendu préalablement et en venir à une conclusion juridique différente. Reste que la stabilité du droit exige qu'un tel changement ne soit pas fait à la légère. Dans Financement agricole Canada c. Urscheler (2013 QCCA 2086), la Cour d'appel était appelée à revoir la décision qu'elle a rendu il y a neuf ans dans laquelle elle en était venue à la conclusion que la vente sous contrôle de justice ne purge pas un immeuble des baux commerciaux qui ont été enregistrés contre celui-ci.
 

Dans cette affaire, l'Appelante se pourvoit contre un jugement qui a rejeté sa requête introductive d'instance par laquelle elle demandait la radiation d'un bail publié par l'Intimé au bureau de la publicité et une condamnation à des dommages-intérêts de 152 724 $. Cette arrêt a appliqué les enseignements de la Cour d'appel dans sa décision rendue en 2004 dans l'affaire Compagnie Trust Royal c. Pinkerton Flowers Limited.
 
Cette dernière décision posait le principe voulant que la vente sous contrôle de justice ne purgeait pas l'immeuble des baux commerciaux enregistrés contre celui-ci.

Dans une décision unanime rendue par les Honorables juges Thibault, Gagnon et Gascon, la Cour indique qu'il n'existe pas de justification pour mettre de côté la règle mise de l'avant dans l'affaire Pinkerton:
[20]        Après l'analyse des modifications apportées en 1973 et 1994, la Cour a estimé que celles-ci visaient à accroître la protection des locataires et à affermir la stabilité des baux commerciaux. Dans ce contexte, la Cour a conclu que « favoriser la conservation des droits du créancier hypothécaire […] semble contraire à l'intention du législateur ». 
[21]        La Cour s'est ensuite livrée à un exercice d'interprétation du texte des articles précités (paragr. [46] à [51]). Elle a retenu que le législateur n'avait pas utilisé l'expression « vente volontaire ou forcée », mais bien celle d'« aliénation volontaire ou forcée » qui doit, selon les dictionnaires d'usage et spécialisés, recevoir une interprétation plus large. 
[22]        La Cour a conclu que la vente de gré à gré par un créancier dans l'exercice de son recours hypothécaire constitue une « aliénation forcée » au sens des articles 1886 et 1887 C.c.Q. et que le bail publié avant l'acte de vente ne peut être résilié unilatéralement. L'arrêt de la Cour en est un de principe, qui a été rendu après une étude minutieuse et approfondie. C'est le droit qui s'applique au Québec depuis près d'une décennie. Sans la constatation péremptoire d'une erreur, la Cour ne doit pas rejeter un arrêt de principe pour une simple divergence de vue. 
[...] 
[31]        L'appelante affirme que l'arrêt Pinkerton cause préjudice aux prêteurs hypothécaires. Une affirmation aussi absolue est inexacte. L'interprétation retenue par la Cour dans l'arrêt précité n'a pas cet effet sur l'industrie du prêt hypothécaire. Au contraire, examinés dans un contexte d'affaires, les objectifs de protection du locataire et de la stabilité des baux commerciaux, promus par l'affaire Pinkerton, permettent tout autant de préserver la valeur des immeubles sur lesquels portent les hypothèques et d'en assurer une réalisation optimale. 
[32]        Il n'y a donc aucune raison justifiant la Cour de se distancer de l'interprétation retenue dans l'affaire Pinkerton.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1bFG0ct

Référence neutre: [2013] ABD 493

Autre décision citée dans le présent billet:

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