mercredi 20 novembre 2013

Dans certaines circonstances, il incombe à l'acheteur d'obtenir une inspection avant de faire l'acquisition d'un immeuble

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

On entendra souvent dire que la jurisprudence en matière de vices cachés a évoluée et que les tribunaux n'obligent plus les acheteurs à faire inspecter un immeuble avant de l'acquérir. Ce n'est pas tout à fait vrai. Il est plus juste de dire que les tribunaux ont exclu la nécessité d'obtenir systématiquement un rapport d'inspection à chaque fois qu'une personne achète un immeuble. Reste par ailleurs des situations où les tribunaux jugeront que le défaut d'obtenir un rapport d'inspection est fautif et doit mener au rejet du recours. L'affaire Côté c. Leblond (2013 QCCS 5789) illustre bien ce principe.



Dans cette affaire, les Demandeurs intentent des procédures en dommages contre les Défendeurs en raison de vices cachés qui affectent la résidence dont ils se sont portés acquéreurs en 2009 pour la somme de 207 500 $. Les Défendeurs contestent ces procédures au motif que les vices en question étaient apparents et qu'ils résultent de l'usure normale pour une maison aussi âgée que celle acquise par les Demandeurs. Ils se portent également demandeurs reconventionnels en dommages, jugeant les procédures entreprises par les Demandeurs abusives.
 
Saisi de l'affaire, l'Honorable juge Denis Jacques en vient à la conclusion que le recours des Demandeurs doit échouer puisqu'ils n'ont pas fait la preuve du caractère caché des vices dont ils se plaignent. En particulier, le juge Jacques souligne que, à la lumière de la date de construction de la maison achetée (1945), il incombait aux Demandeurs d'obtenir un rapport d'inspection afin de satisfaire à leur obligation de diligence:
[91]        Avant d’aborder chacun des items, il y a lieu de réaffirmer la règle de la diligence voulant que les acheteurs doivent être prudents avant d’acquérir une maison, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, la construction originaire remonte à près de 65 ans. 
[92]        Rappelons que cette maison était d’abord un chalet qui a été transformée au fil des ans pour devenir un cottage, avec un tambour qui a été modifié en verrière. 
[93]        Dans un jugement récent, notre collègue Sophie Picard explique : 
[39]  Il n’est pas exigé de cet acheteur qu’il ait recours à un expert pour l’examen du bien. Il demeure toutefois que dans certaines circonstances, l’acheteur prudent et diligent devra recourir à un expert (par exemple lorsqu’il ne possède pas ou peu ou pas de connaissance dans le domaine de la construction et qu’il perçoit des indices ou signes révélateurs d’un problème).  
[40]  L’âge avancé de la maison ou son caractère artisanal constituent également des éléments justifiant une étude plus attentive par l’acheteur.  
[41]  De plus, les déclarations du vendeur doivent être considérées afin d’apprécier le caractère caché ou apparent du vice (…) 
[94]        Les acheteurs prudents doivent être attentifs et à l’écoute des indices qui devraient les amener à effectuer un examen accru avant de transiger.  
[95]        Dans l’arrêt Italia c. Robitaille, la Cour d’appel devait statuer sur le caractère apparent de vices qui affectaient le plancher d’un sous-sol. À cet égard, la Cour retient ce qui suit : 
[32] Comme le juge de première instance, au paragraphe 49 de son jugement, je m'en remets aux auteurs Jobin et Cumyn pour situer sommairement ce qu'est un vice caché : 
[49]       Authors JOBIN and CUMYN provide a succinct summary of the applicable law: 
En règle générale, le caractère caché du vice est apprécié de façon objective, c'est-à-dire par rapport à une personne prudente et diligente. Mais il faut ajouter que le cas échéant les tribunaux prennent en compte la compétence professionnelle ou technique de l'acheteur dans le domaine; ainsi, l'acheteur expert devra détecter des indices de vice qui n'ont pas de signification pour une profane. Cette nuance, en réalité, introduit un facteur d'ordre subjectif rendant plus exigeant l'examen qui doit être effectué. Les tribunaux considèrent aussi la nature de la défectuosité, les circonstances de l'examen, la nature et l'âge du bien, la pratique habituelle dans le domaine concerné ainsi que le prix convenu – un faible prix étant un indice qui doit inciter l'acheteur à une plus grande vigilance.  
L'acheteur ou son expert n'est pas obligé de prendre des mesures inhabituelles (comme ouvrir un mur ou creuser autour des fondations) pour chercher des vices, sauf si un indice visible soulève des soupçons. Enfin, du camouflage, des représentations trompeuses du vendeur, voire sa réticence, qui heurtent la bonne foi, peuvent réduire l'obligation de l'acheteur d'examiner le bien et conduire les tribunaux à juger caché un vice qui, autrement, serait apparent. Le principe de la bonne foi soulève aussi la question difficile de savoir si le vendeur a l'obligation de divulguer le vice qu'il connaît. 
                                                             (Nos soulignements) 
[96]        Dans cette affaire, la Cour d’appel maintient le jugement de la Cour supérieure qui avait estimé que l’âge de l’immeuble constitue un facteur objectif qui aurait dû pousser les acheteurs à plus de vérifications. L’immeuble en question datait de 1945. 
[97]        De plus, la Cour d’appel retient que l’affaissement des planchers ayant été porté à l’attention des acheteurs lors de la pré-inspection, la présence d’un tel problème à la structure de l’immeuble forçait un acheteur prudent et diligent à en chercher la cause avant d’acheter.  
[98]        En l’espèce, les demandeurs n’ont manifestement pas été prudents et diligents lors de leur achat. Ils savaient qu’ils achetaient une maison datant de 65 ans et qui présentait différents problèmes, dont des infiltrations d’eau. 
[99]        Pourtant, ils n’ont pas demandé une expertise particulière se contentant de requérir d’un ami de les accompagner en soirée, à la noirceur, sans lui remettre copie de la déclaration du vendeur, de la fiche d’inscription ou du rapport d’évaluation, avant de conclure leur achat. 
[100]     Leur incurie a certainement entraîné pour eux des conséquences et un lot de déceptions qui, on le verra, ne sont pas imputables aux défendeurs.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1fAuTVs

Référence neutre: [2013] ABD 463

Autres décisions citées dans le présent billet:

1. Italia c. Robitaille, 2012 QCCA 180.
2. Deslandes c. Doyon, 2009 QCCS 4606.

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