mardi 1 octobre 2013

Une tierce partie à un contrat peut être tenue responsable in solidum de restituer le prix de vente en cas d'annulation

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà discuté ensemble de la responsabilité imparfaite (in solidum) laquelle peut exister dans certaines circonstances en matière de responsabilité contractuelle et extracontractuelle. Or, si la possibilité d'obtenir la responsabilité imparfaite dans le cadre d'une réclamation en dommages ne fait pas de doute, cette même possibilité lorsque ce qui est réclamé est la restitution d'une prestation est beaucoup moins évidente. C'est cette question que devait trancher la Cour d'appel dans Bourque c. Poudrier (2013 QCCA 1663).



La trame factuelle de l'affaire est simple.
 
Suite aux affirmations dolosives du représentant de la venderesse et celles, erronées, du notaire instrumentant, les Appelants ont acheté une propriété croyant qu'elle est libre de servitudes. Réalisant par la suite qu'elle est bel et bien grevée de plusieurs servitudes qui font en sorte qu'ils ne peuvent  user de leur terrain comme ils l'avaient prévu, les Appelants intentent une action en annulation de la vente et en remboursement du prix de vente. Ils recherchent cette dernière conclusion in solidum contre la venderesse et le notaire instrumentant.
 
Se pose donc la question très intéressante de savoir si une telle condamnation in solidum peut être prononcée dans un tel contexte. En effet, en principe, seul la venderesse pourrait être tenue de rembourser le prix de vente de l'immeuble dans le cadre d'une demande d'annulation.
 
Au nom d'un banc unanime de la Cour, l'Honorable juge Marie-France Bich en vient à la conclusion qu'il est effectivement possible de prononcer une conclusion in solidum dans de telles circonstances:
[45]        Le 6 juillet 2007, les appelants se retrouvent donc moins riches de 60 000 $ et propriétaires d'un terrain ne répondant pas à leurs exigences, terrain dont ils ne peuvent pas faire ce qu'ils se proposaient et qui avait motivé leur achat ainsi que le paiement du prix d'achat. Cette situation, on l'a déjà dit, est le fruit du mensonge des vendeurs, qui ont nié l'existence de servitudes dont ils connaissaient l'existence, et de l'erreur du notaire, qui, à la suite d'une recherche de titres défaillante, ne les a pas divulguées. Que peuvent faire les appelants afin de compenser ou de corriger le préjudice qu'ils encourent ainsi?  
[46]        D'une part, ils peuvent poursuivre les vendeurs et, vu l'ampleur du vice et la perte d'utilité totale qui s'ensuit, réclamer l'annulation de la vente (soit en vertu de la garantie du droit de propriété, conformément à l'article 1723 C.c.Q., soit en vertu de l'article 1407 C.c.Q., ou même les deux) et la restitution du prix de 60 000 $ (plus des dommages, s'il en est). D'autre part, ils peuvent poursuivre le notaire en dommages-intérêts pour le préjudice que leur cause le fait d'avoir indûment dépensé 60 000 $ pour acquérir un terrain inutilisable, qu'ils n'auraient pas acheté s'ils avaient su son état réel, et ils peuvent lui réclamer une indemnité égale à ce montant (sans parler des autres dommages). 
[47]        Dans les circonstances, les appelants ont réuni leurs recours dans une même procédure et l'on voit clairement la convergence des dettes de chacun et des sommes dues en conséquence, quoique la cause, la source et la nature des obligations respectives des parties ne soient pas les mêmes. Une condamnation in solidum paraît donc tout indiquée, et ce, à la fois pour protéger les appelants contre l'insolvabilité potentielle de l'un ou l'autre débiteur et pour éviter par ailleurs qu'ils reçoivent un double paiement.  
[48]        J'estime qu'en concluant de cette façon, on respecte l'esprit du mécanisme de l'obligation in solidum, sans faire par ailleurs du notaire le débiteur de l'obligation contractuelle ou, plus exactement, post-contractuelle incombant aux vendeurs. Ces derniers sont tenus de rembourser le prix de vente, en vertu de l'obligation de restitution découlant de l'annulation de la vente. Le notaire, de son côté, est tenu d'indemniser les appelants en raison du préjudice causé par sa faute et son obligation d'indemnisation se trouve à coïncider avec le prix de vente qu'ont inutilement déboursé les seconds pour l'achat d'un terrain totalement impropre à l'usage auquel ils le destinaient, sans valeur réelle et dont ils ne veulent pas. Il n'est donc pas question d'imposer ici au notaire, directement, les obligations découlant du contrat de vente liant les appelants à leurs vendeurs ni les obligations découlant de l'annulation de ce contrat. La situation s'apparente plutôt à celle qui était en cause dans l'arrêt Prévost-Masson, où l'un des débiteurs était tenu de payer le solde du prix fixé par le contrat auquel il était partie et l'autre tenu distinctement à une indemnisation dont le montant était égal au solde en question. Le premier était lié par le contrat de vente l'unissant au vendeur; le second encourait une responsabilité professionnelle en raison de l'inexécution fautive du contrat de service l'unissant à son client, qui se trouvait aussi à être le vendeur et le créancier du solde du prix de vente. 
[49]        Le fait que l'obligation de restitution des vendeurs, ici, résulte de l'annulation de la vente, plutôt que de l'exécution de termes du contrat, ne peut faire échec à l'in solidum et ne rompt pas la causalité entre la faute du notaire et le préjudice subi par les intimés. Les vendeurs et le notaire sont, comme dans Prévost-Masson, tenus à des dettes distinctes ou, pour reprendre les propos du professeur Levesque, à des « obligations différentes existant à titre principal qui convergent vers un même créancier et portant sur un même objet ». Le fait que la faute du premier soit subsidiaire à celle des seconds, comme on l'a vu précédemment, n'a par ailleurs pas d'impact sur le caractère principal de leurs obligations envers les appelants, mais entraîne simplement, entre les débiteurs, que la responsabilité ultime de la condamnation sera supportée entièrement par les vendeurs. 
[50]        Bref, les vendeurs doivent rembourser un prix de vente alors que le notaire doit payer un préjudice; les deux dettes, quoique de nature différente, sont d'une quotité identique, et l'acquittement de l'une éteint l'autre. C'est le propre de l'in solidum
[51]        Comme les appelants sont par ailleurs tenus de restituer le terrain aux vendeurs, il ne peut y avoir d'enrichissement de leur part. 
[52]        Certes, il n'y aurait pas lieu ici à solidarité, laquelle, cependant, est une tout autre institution, dont l'in solidum n'est pas un succédané. Comme le souligne le juge LeBel, dans Prévost-Masson, le mécanisme de l'in solidum, qui dérive de l'équité, « veut permettre au créancier de recouvrer efficacement sa dette, tout en évitant une surindemnisation » et c'est précisément cette double raison qui justifie ici le prononcé d'une condamnation in solidum
[53]        On concédera que l'application du mécanisme de l'in solidum à des circonstances comme celles de l'espèce requiert une adaptation de l'institution, en ce que l'acheteur ne pourrait pas poursuivre le notaire seul pour récupérer de lui l'équivalent du prix de vente, sans, dans le même temps, poursuivre le vendeur en annulation de ladite vente. Les intimés voient en cela une entorse à la vision classique (si l'on peut dire) de l'in solidum et, partant, un obstacle à son utilisation. J'y vois pour ma part une extension du domaine de l'in solidum, ou, plus exactement, une variation sur le même thème. Cette variation ne dénature cependant pas le mécanisme et n'en affecte pas l'essence. L'adaptation requise va au contraire dans le sens de l'équité pratique qui en est le fondement.
Commentaires:

Le raisonnement de la Cour dans cette affaire me semble tout à fait juste. Autrement, l'on devrait accepter la possibilité que le notaire dans une situation comme celle-là commette une faute, cause un dommage et qu'il existe indéniablement un lien de causalité, mais que sa responsabilité ne puisse être retenue pour ce qui est en définitive une technicalité. Ce résultat serait injuste.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1fR29Zb

Référence neutre: [2013] ABD 391

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