lundi 30 septembre 2013

Le fardeau en matière de présomptions de faits selon la Cour d'appel

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Comme vous le savez, de temps à autre, j'aime reproduire intégralement les enseignements de nos tribunaux sur des questions que je trouve particulièrement utiles. C'est le cas cet après-midi alors que je pense très utile de reproduire les enseignements de la Cour d'appel dans Barrette c. Union canadienne (L'), compagnie d'assurances (2013 QCCA 1687) sur ce le fardeau applicable en matière de présomption de faits.
 


Dans cette affaire, l'Appelant se pourvoi contre un jugement de première instance qui a rejeté son action contre sa compagnie d'assurance et conclut qu'il n'avait pas droit d'être indemnisé pour le vol de son automobile.
 
L'Appelant fait valoir que le juge de première instance s'est mal dirigé en venant à la conclusion qu'il existait des faits graves, précis et concordants qui donnaient naissance à une présomption de faits à l'effet que l'Appelant avait participé à la disparition de son automobile.
 
C'est dans ce contexte que l'Honorable juge Dominique Bélanger, au nom d'un banc unanime, fait une synthèse particulièrement utile en matière de présomption de faits:
[29]        L'article 2464 du Code civil du Québec établit qu'un assureur est tenu de réparer le préjudice causé par une force majeure ou la faute de l'assuré, sauf exclusion prévue au contrat, et jamais lorsque le préjudice résulte de la faute intentionnelle de l'assuré. 
[30]        Toutefois, en l'absence d'une preuve directe démontrant que l'appelant a été l'auteur du préjudice, il appartenait à l'intimée, en application des articles 2846 et 2849 C.c.Q., d'établir la faute intentionnelle de l'appelant au moyen de présomptions graves, précises et concordantes. 
[31]        La preuve par présomption est l'un des cinq moyens de preuve mis à la disposition des plaideurs pour démontrer un fait. Souvent utilisée en matière civile pour démontrer un acte fautif et intentionnel, il s'agit d'un moyen de preuve qui répond à ses propres exigences.  
[32]        Qualifié de preuve indirecte ou indiciaire, ce moyen nécessite la mise en preuve de faits que l'on pourrait, au moyen d'une preuve directe, qualifiés d'indices, suivi d'un raisonnement inductif qui permettra ou non au tribunal de conclure à l'existence du fait à prouver, selon qu'il estime que les faits prouvés sont suffisamment graves, précis et concordants pour conduire à l'inférence qu'il en fera. 
[33]        Larombière, encore cité récemment par la Cour, exprime avec une grande acuité ce qu'il faut entendre par des présomptions graves, précises et concordantes : 
Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l'existence de l'un établit, par une induction puissante, l'existence de l'autre (…)  
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S'il était également possible d'en tirer les conséquences différentes et mêmes contraires, d'en inférer l'existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n'auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l'incertitude.  
Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu'il s'agit de prouver… Si … elles se contredisent… et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l'esprit du magistrat.  
[34]        L'exercice prévu à l'article 2849 C.c.Q. consiste en deux étapes bien distinctes. La première, établir les faits indiciels. Dans cette première étape, le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu'il estime prouvés. Dans une deuxième étape, il doit examiner si les faits prouvés et connus l'amènent à conclure, par une induction puissante, que le fait inconnu est démontré.  
[35]        Le juge doit se poser trois questions : 
1.    Le rapport entre les faits connus et le fait inconnu permet-il, par induction puissante, de conclure à l'existence de ce dernier?  
2.    Est-il également possible d'en tirer des conséquences différentes ou même contraires? Si c'est le cas, le fardeau n'est pas rencontré. 
3.    Est-ce que dans leur ensemble, les faits connus tendent à établir directement et précisément le fait inconnu? 
[36]        L'exercice auquel se prête le juge lorsqu'il détermine les faits inductifs commande une grande retenue de la part de la Cour d'appel, laquelle n'interviendra qu'en présence d'une erreur manifeste et déterminante. Par contre, traditionnellement, on estimait qu'une Cour d'appel était aussi bien placée que le juge de première instance pour tirer des faits prouvés l'inférence qui s'en dégage. Ainsi, la démarche inductive empruntée par le juge de première instance était parfois qualifiée de question de droit, ce qui la soumettait à une norme d'intervention moins sévère.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/GEs6eR

Référence neutre: [2013] ABD 390

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