mardi 15 octobre 2013

Peut-on être dispensé de l'obligation de mettre un entrepreneur en demeure parce qu'il est incompétent? Une décision récente répond à cette question par l'affirmative

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Nous avons déjà traité de certaines circonstances dans lesquelles le client peut être dispensé de l'obligation de d'envoyer à l'entrepreneur une mise en demeure d'apporter des travaux correctifs (urgent ou abandon des travaux par exemple). Dans la récente affaire de Constructions Robert Bolduc (2001) inc. c. Lavoie (2013 QCCS 4840), la Cour supérieure ajoute de nouvelles circonstances à cet liste et indique que le client est dispensé de l'obligation de mettre l'entrepreneur en demeure lorsque ce dernier est incompétent.


Dans cette affaire, la Demanderesse, alléguant qu'elle n'a pas été payée pour le contrat de construction que lui ont accordé les Défendeurs, intente un recours hypothécaire. Les Défendeurs, se portant Demandeurs reconventionnels, allèguent que les travaux ont été mal exécutés et qu'ils ne doivent donc rien à la Demanderesse. 
 
Une des questions en litige a trait à la mise en demeure. En effet, les Défendeurs n'ont pas transmis formellement une mise en demeure à la Demanderesse d'exécuter le contrat dans un délai précis, à défaut de quoi un autre entrepreneur le ferait à sa place et à ses frais. Selon la Demanderesse, cette absence de mise en demeure est fatale.
 
Après analyse des faits de l'espèce, l'Honorable juge Clément Gascon en vient à la conclusion que l'absence de mise en demeure n'est pas fatale en l'espèce. D'abord, il rappelle qu'il existe des exceptions à la nécessité de mettre sa partie contractante en demeure:
[36] La mise en demeure « […] consiste en un avertissement solennel que le créancier entend réclamer son dû et qui, à l’expiration d’un délai suffisant, ou raisonnable, amènera le débiteur à être constitué en demeure ». Les tribunaux semblent unanimes sur le principe voulant qu'une partie s'estimant lésée ne puisse entreprendre quoi que ce soit sans mise en demeure, afin de permettre à la partie fautive de corriger son défaut. Il existe quatre formes de demeure selon le Code civil du Québec, lesquelles sont regroupées en deux catégories distinctes.  
[37] La première catégorie est la mise en demeure qui nécessite l’intervention du créancier. La mise en demeure la plus fréquente est la demeure extrajudiciaire, où le créancier met en demeure le débiteur en lui donnant un délai pour s’exécuter, faute de quoi ce dernier est en demeure. Se retrouve également la mise en demeure judiciaire, par laquelle le créancier interpelle le débiteur par une demande en justice.  
[38] Dans la deuxième catégorie, se retrouve la mise en demeure ne nécessitant aucune intervention du créancier, celle où « [l]e débiteur peut être constitué en demeure d’exécuter l’obligation par les termes mêmes du contrat, lorsqu’il y est stipulé que le seul écoulement du temps pour l’exécuter aura cet effet ». Également, il y a la mise en demeure de plein droit « par le seul effet de la loi » pour reprendre les termes du Code civil. La loi prévoit six cas par lesquels le débiteur est automatiquement en demeure : l’inexécution de l’obligation dans un certain temps, en cas d’urgence, par une obligation de ne pas faire, lorsque l’exécution en nature est impossible, quand le débiteur refuse ou néglige de s’exécuter de manière répétée, et lorsque l’intention de ce dernier est de ne pas s’exécuter. La preuve incombe au créancier de démontrer la survenance d’un des six cas énumérés ci-dessus. 
[39] Dans le présent dossier, le Tribunal porte une attention sur le dernier cas de la mise en demeure de plein droit, soit lorsque le débiteur démontre son intention de ne pas s’exécuter.
Le juge Samson souligne ensuite que certaines autorités ont accepté une "exception d'incompétence" lorsque le comportement de la partie contractante était tel que l'obligation de mettre en demeure apparaissait superflue:
[41] Les tribunaux « […] dispensent parfois le créancier de mettre le débiteur en demeure lorsque ce dernier connaissait très bien les reproches qui lui étaient adressés et n’a aucunement cherché à apporter un correctif à sa prestation ».  
[42] L'auteur Vincent Karim traite de l’exception d’incompétence développée par la jurisprudence, laquelle permet de dispenser le créancier de produire une mise en demeure lorsque le débiteur est incompétent, et non seulement lorsqu’il s’adonne à une mauvaise exécution. 
[Dans le dernier cas], la mise en demeure est requise et obligatoire pour le créancier qui entend faire exécuter l’obligation par un tiers et en réclamer le coût au débiteur.  
Par contre, dans le cas où le débiteur est incompétent, la mise en demeure n’est pas nécessaire, puisque le créancier, en raison du manque de confiance, est justifié de ne plus laisser le débiteur faire les travaux correctifs appropriés. La mise en demeure sera alors effectuée vu l’incompétence du débiteur de saisir et comprendre la nature de l’inexécution et des contraventions commises lors de l’exécution de son obligation. Décider autrement revient à obliger le créancier à perdre son temps ou à encourir les risques de voir le débiteur causer d’autres dégâts à son bien. Le débiteur ne peut avoir droit à une chance de remédier au problème ou d’être prévenu des réparationsà faire, alors que les défectuosités ont été le résultat de la qualité de ses prestations, de sa négligence ou de son incompétence de prendre les moyens appropriés pour découvrir les problèmes affectant le bien qui lui a été confié. Les circonstances de l’inexécution ou de la mauvaise exécution dues à l’incompétence du débiteur permettent au créancier de bonne foi de se soustraire à son obligation de lui donner une dernière chance de remédier au défaut.  
(notre soulignement) 
[43] La jurisprudence semble en effet accepter le fait que la mise en demeure extrajudiciaire ne soit pas requise lorsque le créancier n’a plus aucune confiance vis-à-vis le débiteur de par son incompétence, ce dernier étant mis en demeure de plein droit.
En l'instance, le juge Samson est d'avis que l'attitude désinvolte de la Demanderesse et son défaut d'apporter les correctifs nécessaires nonobstant amples opportunités de le faire font en sorte qu'une mise en demeure n'était pas nécessaires en l'instance:
[50] La non-acceptation des responsabilités par Bolduc au sens de son contrat, les retards accumulés, son absence sporadique continue du chantier, les inexécutions répétitives et les malfaçons nombreuses sont autant de raisons qui justifient Paquin et Lavoie de ne pas avoir transmis une mise en demeure formelle à Bolduc. Celle-ci n'aurait pas changé son comportement désinvolte.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1cnp3mb

Référence neutre: [2013] ABD 412

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