jeudi 10 octobre 2013

Même une vente faite aux risques et périls de l'acheteur ne peut exclure la responsabilité du vendeur pour la faute lourde ou intentionnelle

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'article 1733 C.c.Q. prévoit que le vendeur non-professionnel peut contractuellement exclure la garantie de qualité du bien vendu. Il ne s'agit cependant pas d'une exclusion de responsabilité complète puisque, comme la Cour du Québec le souligne dans Matteau c. Vigneault (2013 QCCQ 10428), l'article 1474 C.c.Q. continue à s'appliquer et le vendeur sera responsable en cause de faute lourde ou intentionnelle comme les fausses représentations.


Dans cette affaire, les Demandeurs réclament 20 093,27$ aux Défendeurs en raison de vices cachés affectant l'immeuble qu'ils ont acquis le 9 mars 2005. Ces derniers rétorquent que la vente a été faite aux "risques et périls de l'acquéreur", de sorte qu'ils ne peuvent être tenus responsables des vices cachés.

L'Honorable juge Dominique Langis constate effectivement la présence de ladite clause et est d'opinion qu'elle est parfaitement valide. Elle indique cependant que cela ne met pas fin au débat puisque les Défendeurs ne peuvent exclure leur responsabilité pour la faute lourde ou intentionnelle et les Demandeurs allèguent les fausses représentations:
[37]      Dans le présent dossier, les parties ont exclu expressément la garantie légale, les demandeurs ayant acheté à leurs risques et périls de vendeurs non professionnels. 
[38]      Comme l'exprime le juge Rochon dans l'arrêt Garage Robert inc. : 
« [16]   Qu'il s'agisse d'exclure ou de limiter ces garanties, la convention à cet effet demeure assujettie à la règle cardinale de l'article 1474 C.c.Q.:  la convention qui limite ou exclut la garantie sera sans valeur s'il y a faute intentionnelle ou lourde.
[…]
[20]   Le second alinéa de l'article 1733 C.c.Q. pose une règle surprenante.  À première vue, il autorise un vendeur non professionnel à exclure ou limiter sa responsabilité pour des vices qu'il connaît.  Cette limitation ou exclusion demeure toutefois assujettie à la règle énoncée à l'article 1474 alinéa (1) C.c.Q.  À moins que le vendeur non professionnel n'ait dénoncé le vice qu'il connaissait, son cocontractant pourrait certes demander la nullité de la vente en raison d'une erreur provoquée par le dol. (art. 1401 C.c.Q.).  En effet, la clause d'exclusion demeure soumise aux règles générales des contrats. (…)». 
(références omises) 
[...]      
[41]      Les conséquences d'une vente avec une telle exclusion sont expliquées par le professeur Jobin : 
« (…) Soulignons que si la vente est faite aux risques et périls de l'acheteur et que le vendeur n'est pas un vendeur professionnel, à notre avis il est complètement libéré par cette clause,  même quand il connaissait le vice du titre ou ne pouvait l'ignorer et qu'il ne l'a pas dénoncé125. Toutefois, les tribunaux veillent au respect d'un minimum de morale : la clause de vente aux risques et périls de l'acheteur ne protège pas le vendeur contre son dol sous forme de mensonges, manœuvres ou réticence (demi-vérité).126 (…)
[42]      Autrement dit, cette clause « aux risques et périls de l'acheteur » est tout à fait valide et peut être invoquée par le vendeur même s'il n'a pas révélé les risques qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent la qualité du bien vendu. Toutefois, s'appuyant sur l'article 1474 C.c.Q. et les règles générales des contrats, l'acheteur peut plaider avoir été victime de fausses représentations et invoquer l'erreur provoquée par le dol du vendeur. 
[43]      La Cour d'appel dans l'arrêt Théberge c. Durette résume ainsi l'état du droit  : 
[83]  D'une part, l'article 1733, second alinéa, C.c.Q. permet ce genre de clause :

     1733. (…)
Au contraire du vendeur professionnel, le vendeur non professionnel, ce qui est le cas de l'intimée, peut exclure sa responsabilité même s'il n'a pas révélé ou ne pouvait ignorer les vices affectant la qualité du bien. Bien sûr, cela n'empêche pas les règles contractuelles ordinaires de s'appliquer et l'on peut penser que l'acheteur d'un bien pourrait, si le vendeur non professionnel lui a délibérément caché l'existence d'un vice important, invoquer l'erreur, erreur provoquée par le dol de l'autre partie (articles 1399-1401 C.c.Q.), et obtenir l'annulation de la clause (ou celle de la vente) pour ce motif. Encore faudrait-il que l'erreur soit déterminante et que l'acheteur ait par ailleurs exercé toute la diligence raisonnable dans les circonstances et n'ait donc pas contribué à s'induire lui-même en erreur, pour ainsi dire, par exemple en se fermant les yeux ou en agissant de façon négligente ou téméraire.
[…]
[88]    Par ailleurs, vu les faits particuliers de l'affaire, on peut difficilement voir comment la responsabilité de l'intimée aurait pu être engagée, en ce qui touche la pyrite, par l'effet de l'article 1474 C.c.Q., disposition qui énonce que :
1474.   (…) 
[89]    S'il est vrai, comme le rappelle le juge Rochon dans Garage Robert inc., précité, que l'article 1474 l'emporte sur l'article 1733 C.c.Q. en ce que l'exclusion conforme au second ne peut empêcher la responsabilité résultant du premier en cas de préjudice corporel ou moral, encore faut-il qu'il y ait faute. En cas de préjudice matériel, il faut même une faute intentionnelle ou lourde. (…) ». 
(le Tribunal souligne, références omises)
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1bdrpTz

Référence neutre: [2013] ABD 406

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Théberge c. Durette, 2007 QCCA 42 (C.A.).

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