Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
L'exception d'inexécution permet à une partie à un contrat de refuser d'exécuter son obligation lorsque sa co-contractante n'a pas exécuter la sienne (et que cette dernière devait être exécutée en premier). Ainsi, l'on peut refuser de payer un entrepreneur qui n'a pas fait son travail de manière correcte ou complète. Cependant, comme le souligne la Cour du Québec dans l'affaire Menuiserie de St-Gilles inc. c. Morin (2013 QCCQ 10109), un client ne pourra simultanément refuser de laisser l'entrepreneur procéder aux travaux correctifs et retenir les sommes qui lui sont dues.
Dans cette affaire, la Demanderesse réclame le montant de 5 842,47$ à la Défenderesse représentant le solde dû pour la fabrication et l'installation d'armoires de cuisine et de salle de bain, de comptoirs et d'une vanité. La Défenderesse conteste cette réclamation au motif que les travaux n'ont pas correctement été exécutés et qu'elle a donc le droit de retenir le paiement du solde contractuel.
Saisie de cette affaire, l'Honorable juge Dominique Langis est d'avis que la réclamation de la Demanderesse doit être accueillie. En effet, elle retient de la preuve que la Défenderesse a refusé de permettre à la Demanderesse de procéder aux travaux correctifs ce qui implique que la Défenderesse ne peut retenir le solde contractuel qu'elle doit à la Demanderesse:
[41] Une preuve prépondérante démontre que St-Gilles inc. a toujours voulu apporter les corrections demandées par Mme Morin, que ce soit par sa lettre du 12 mars 2012, sa visite du 14 mars 2012 ou la lettre de son procureur le 27 mars 2012. D'ailleurs, Mme Morin reconnaît s'être entendue avec St-Gilles inc. pour effectuer les travaux de corrections le 22 mars 2012. C'est Mme Morin qui a refusé la venue de St-Gilles inc. à cette dernière date pour un motif que le Tribunal considère peu crédible. De plus, les agissements antérieurs de St-Gilles inc., notamment le contenu de sa lettre du 12 mars 2012 et le témoignage de Mme Dumont tout à fait crédible, permettent au Tribunal de conclure que le refus de Mme Morin est injustifié.
[42] L'auteur Vincent Karim enseigne :
« 822. Il importe de noter que le droit du client de retenir une somme d’argent équivalant au coût de la réparation des malfaçons est conforme à la règle générale prévue à l’article 1591 C.c.Q. Ce droit ne peut être exercé par le client, à moins qu’il ne collabore et donne l’opportunité à l’entrepreneur de faire les travaux de réparation. Ainsi, l’entrepreneur avisé des malfaçons et qui offre de faire les travaux nécessaires, sera en droit de réclamer la somme retenue si le client ne lui en donne pas l’opportunité et ne collabore pas afin que ces travaux soient effectués. En d’autres termes, en cas de refus du client de permettre à l’entrepreneur de faire les réparations demandées, il ne pourra exercer son droit à la retenue.
823. Le client est tenu, envers l’entrepreneur, à une obligation de collaboration. Il doit adopter une conduite de bonne foi lors de la réception de l’ouvrage, afin que l’extinction du rapport contractuel se réalise dans l’intérêt des deux parties et dans le respect de leurs droits respectifs. L’article 1375 C.c.Q. prévoit que les parties doivent se donner une conduite de bonne foi durant l’exécution du contrat et lors de l’extinction du rapport contractuel. Ainsi, afin d’effectuer validement une retenue d’une partie du prix, le client doit se conformer à diverses conditions requises par la doctrine et la jurisprudence, notamment celles prévues aux articles 1590, 1591 et 1602 C.c.Q.
[…]
826. (…) Ainsi, lorsque l’entrepreneur propose des solutions à son client qui les refuse en procédant à la résiliation unilatérale du contrat, ce dernier pourra difficilement réclamer de l’entrepreneur les coûts des corrections alors qu’il ne lui a pas offert, en réalité, la possibilité de procéder lui-même à l’exécution de travaux correctifs.».
(le Tribunal souligne, références omises)
[43] Dans l'affaire Constructions Proforma inc. c. Gestions immobilières Vasire inc., la Cour supérieure énonce l'impossibilité d'exercer une retenue sur le prix en pareilles circonstances, le tout en ces termes :
« Le fait de refuser au contracteur le droit d'effectuer des réparations ne permet pas au propriétaire de retenir des sommes pour satisfaire aux réparations ou malfaçons qui pouvaient exister lors de la remise de l'ouvrage. L'article 2111 prévoit que le droit du propriétaire de retenir des sommes pour couvrir une malfaçon apparente, disparaît si l'entrepreneur lui fournit une sûreté suffisante pour garantir l'exécution des travaux.
La Cour est d'opinion que le refus du propriétaire de permettre au contracteur d'effectuer les réparations auxquelles il est tenu par l'article 2120 C.C.Q. a pour effet de lui faire perdre le droit de rétention des sommes jusqu'à ce que les réparations soient faites à l'ouvrage. Permettre une telle retenue d'argent irait à l'encontre de l'esprit de l'article 2111 C.C.Q.. Le droit de rétention y contenu n'est pas absolu mais relatif et il ne peut subsister au cas de fourniture d'une sûreté garantissant l'exécution des obligations du contracteur.
Dans le même esprit, le droit de rétention ne peut devenir une arme de chantage aux mains d'un propriétaire qui décide sans raison de ne pas payer l'entrepreneur au motif de malfaçons qu'il lui interdirait de réparer.».
(le Tribunal souligne)
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1aPCz15[44] Le refus de Mme Morin de recevoir St-Gilles inc. le 22 mars 2012 pour effectuer les corrections lui fait perdre le droit de retenir le solde dû. Pour les mêmes raisons, sa demande reconventionnelle ne peut être accueillie.
Référence neutre: [2013] ABD 374
Autre décision citée dans le présent billet:
1. Constructions Proforma inc. c. Gestions immobilières Vasire inc., J.E. 95-1533 (C.S.).
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