mardi 17 septembre 2013

La Cour d'appel écarte la possibilité d'obtenir une condamnation au paiement d'honoraires extrajudiciaires lorsque les services juridiques ont été fournis pro bono

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

La Cour d'appel a rendu, le 11 septembre dernier, sa décision très attendue dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Hinse (2013 QCCA 1513). Dans un jugement unanime rendu par les Honorables juges Pelletier, Bich et Bouchard, la Cour renverse la décision de première instance et rejette entièrement la réclamation formulée contre le gouvernement canadien. Du même coup, la Cour indique que c'est à tort que la juge de première instance a décidé que l'on pouvait condamner une partie défenderesse à payer des honoraires extrajudiciaires lorsque les services juridiques en question ont été fournis pro bono.


L'intimé dans cette affaire a purgé derrière les barreaux 5 des 15 années de pénitencier auxquelles la Cour des sessions de la paix l'a condamné en septembre 1964. Ce verdict de culpabilité étant le résultat d'une erreur judiciaire, il intente des procédures en dommages contre la Ville de Mont-Laurier, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada qu'il tient responsable du préjudice qu'il a subi.
 
Après avoir convenu de transactions avec la Ville de Mont-Laurier et le procureur général du Québec, l'Intimé va à procès contre le procureur général du Canada. La Cour supérieure conclut à sa responsabilité et le condamne à verser des dommages-intérêts compensatoires et punitifs au montant de 5 795 228 $.
 
La partie du jugement de première instance qui nous intéresse pour les fins du présent billet a trait aux honoraires extrajudiciaires. En effet, se fondant sur une décision ontarienne, la juge de première instance en est venue à la conclusion qu'elle pouvait condamner l'Appelante au paiement des honoraires extrajudiciaires des avocats de l'Intimé même si les services juridiques en question avaient été fournis pro bono.
 
Bien que la question soit théorique puisque la Cour ne retient pas la responsabilité de l'Appelant, elle indique quand même que la juge de première instance a eu tort sur la question des honoraires extrajudiciaires:
[243]     De plus, la juge a accordé les honoraires extrajudiciaires encourus malgré l'entente pro bono conclu entre M. Hinse et ses avocats. Elle s'est appuyée sur un arrêt ontarien. Or, la Cour dans l'affaire Hrtschan c. Mont-Royal (Ville), a déjà fait une mise en garde à l’égard des importations sans nuance des précédents de common law. Elle mentionne : 
[74]  J’ajouterai que, en la matière, il faut se méfier des comparaisons faciles avec les précédents de common law.  Ceux-ci doivent être utilisés avec circonspection, car ils sont issus de l’application de règles différentes. D’ailleurs, contrairement à la croyance que semblent entretenir de nombreux plaideurs québécois, les dépens que les tribunaux de certaines provinces peuvent accorder sur la base dite « solicitor to client » ne s’identifient pas nécessairement à la facture d'honoraires et débours extrajudiciaires qu’un avocat présente à son client.  À propos de l'octroi de dépens de cette nature par les tribunaux ontariens, l'auteur Orkin écrit :  
On occasion, costs will be awarded to a party on what is known as the « solicitor-client scale ».  Such costs should not be confused with what client must pay his own lawyer.
[75]      Il faut aussi préciser que les « costs » n’entrent pas dans la catégorie des dommages-intérêts.  Ils participent davantage de la nature de nos frais judiciaires, malgré qu’ils soient plus près de la réalité des coûts engendrés par un procès et qu’ils offrent une plus grande souplesse dans la détermination de ce qui est équitable.  Au terme d’une analyse portant sur le sujet, le professeur Popovici conclut :  
Les costs ont un caractère indemnitaire, ce qui n'empêche pas les tribunaux de se servir de la condamnation comme punition d'un acte répréhensible. Malgré leur caractère en principe indemnitaire, les costs doivent être distingués des damages, des dommages-intérêts. 
[Renvois omis.] 
[244]     La juge a eu tort de se référer à une jurisprudence ontarienne pour accorder cette réclamation, les honoraires extrajudiciaires étant différents des costs.  
[245]     En résumé, parce que l’appelant n'est pas de mauvaise foi et n'a pas agi avec témérité, il n'y a pas eu de sa part abus du droit d'ester en justice.
Commentaires:

J'avoue être déçu par cet aspect de la décision de la Cour en raison de son impact pratique. À une ère on l'on demande de plus en plus aux avocats d'aider ceux qui en ont besoin en leur fournissant des services pro bono, il m'aurait apparu souhaitable que l'on puisse préserver la possibilité de condamner une partie à payer pour le travail effectué par ces avocats en cas d'abus de procédure. Essentiellement, la partie qui commet un abus se trouve dans une position plus avantageuse parce que son opposante n'avait pas les moyens de payer les services d'un avocat.
 
Ainsi, si je conçois facilement la logique de cette décision (le principe en droit civil est la compensation pour les dommages subis et l'on a pas subi de dommages à ce chapitre s'il est entendu que l'on aura pas l'obligation de payer les honoraires de son avocat), je pense qu'il aurait été préférable que dans les circonstances d'un abus de procédure les tribunaux québécois conservent la possibilité pour la partie qui commet l'abus d'être condamnée à payer les honoraires des avocats adverses.

Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/1bnQiio

Référence neutre: [2013] ABD 371

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Hrtschan c. Mont-Royal (Ville), 2004 CanLII 29479 (C.A.).

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