Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Nous avons amplement discuté ensemble du voile corporatif et de sa levée sur le blogue depuis ses débuts. Ces sujets suscitent beaucoup de discussion parce qu'ils ne sont pas bien compris au niveau conceptuel par plusieurs en raison du caractère abstrait de la levée du voile corporatif (pour éviter toute confusion quant à mes propos, je ne prétends pas non plus avoir une maîtrise parfaite du sujet). J'attire ce matin votre attention sur l'affaire Laplante c. St-Roch (2013 QCCS 3623) parce que l'Honorable Pierre-C. Gagnon pose un des principes qui est souvent mécompris, i.e. qu'il n'est pas nécessaire d'établir un lien de causalité entre les gestes posés par les actionnaires et le dommage subi lorsqu'on lève le voile corporatif.
La levée du voile corporatif rend les actionnaires responsables des gestes posés par la personne morale. Ainsi, si l'on doit établir un lien de causalité entre les gestes posés par la personne morale et le préjudice subi, il en est autrement pour les gestes posés par les actionnaires. Dans le cas de ces derniers, l'on doit établir que leurs actions (ou inactions) justifient la levée du voile corporatif. Une fois cette étape (difficile il faut le dire) franchie, on a rempli son fardeau à l'égard des actionnaires.
Il importe de distinguer cette situation de celle où l'on reproche aux actionnaires une faute extracontractuelle distincte de celle de la compagnie. On ne parle alors pas de levée du voile corporatif du tout, mais simplement de responsabilité extracontractuelle. Dans un tel cas, il faudra prouver la faute des actionnaires, le préjudice et le lien de causalité.
Ainsi, les propos suivants du juge Gagnon me semble très justes (j'ouvre une paranthèse pour vous rappeler que je suis un grand défenseur de l'interprétation restrictive à laquelle réfère le juge Gagnon):
[80] Il existe un débat entre tenants d’une interprétation restrictive, ne permettant de poursuivre qu’un actionnaire de la société par actions et ceux d’une interprétation libérale, élargissant la portée de l’article 317 aux administrateurs et dirigeants de la société. Mais il est inutile d’en traiter ici étant donné que M. St-Roch cumulait les trois qualités.
[81] Tel que l’explique l’auteur Martel (partisan de l’interprétation restrictive) :
Soulever le voile implique faire comme si la société n’existait pas, et que ses obligations et son patrimoine, bref tous les éléments de son bilan, s’ajoutaient à ceux de son actionnaire.
[82] Pour l’exprimer encore plus simplement, le voile corporatif ne doit pas servir de moyen à la tricherie, au trucage ou à la manipulation.
[83] Les professeurs Crête et Rousseau enseignent que l’article 317 ne crée pas un régime autonome de responsabilité civile. Plutôt, il édicte une règle d’inopposabilité pour faire échec à l’abus de la personnalité morale par la personne qui en détient le contrôle :
En ce sens, la jurisprudence révèle que le voile corporatif est soulevé pour atteindre l’actionnaire qui, agissant à titre d’administrateur ou de dirigeant, se sert de la société qu’il contrôle comme paravent pour camoufler le fait qu’il a commis une fraude, un abus de droit ou qu’il a contrevenu à une règle intéressant l’ordre public.
[...]
[97] L’article 317 C.c.Q. trouve application. M. Laplante parvient à soulever le voile corporatif et engager la responsabilité personnelle de M. St-Roch en tant qu’âme dirigeante de « 2438 » et détenteur de la majorité de contrôle des actions de celle-ci.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/172xRdo[98] L’article 317 opérant inopposabilité, M. Laplante n’est pas tenu de démontrer un lien de causalité entre son préjudice et les agissements répréhensibles de M. St-Roch. M. Laplante n’est tenu que d’établir la quotité de sa créance envers « 2438 » et donc envers M. St-Roch.
Référence neutre: [2013] ABD 311
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