mercredi 12 juin 2013

Le droit d'un employeur d'alléguer des causes d'insatisfaction dans sa défense

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

En droit québécois, c'est un droit pour l'employeur que de mettre fin unilatéralement à un contrat de travail. L'exercice de ce droit entraîne l'obligation de donner à l'employé un délai-congé raisonnable mais, dans la mesure où il est exercé sans malice et sans abus, il ne peut donner ouverture à l'obtention par l'employé de dommages moraux. Comme le souligne l'Honorable juge Christiane Alary dans Lato c. Industrial Alliance Securities Inc. (2013 QCCS 2467), le fait pour l'employeur d'alléguer dans sa défense la performance insatisfaisante et le manque de ponctualité au travail de son ex-employé n'entraîne pas non plus un droit à des dommages moraux.


Dans cette affaire, le Demandeur intente des procédures judiciaires contre la Défenderesse pour obtenir une délai-congé raisonnable suite à son congédiement par cette dernière. La Défenderesse, bien qu'elle reconnaît que le congédiement a été fait sans cause, invoque avoir eu de bonnes raisons pour être insatisfaite du travail du Demandeur et plaide en conséquence que le délai-congé devrait être plus court à la lumière de ces éléments.
 
En plus du délai-congé, le Demandeur recherche une condamnation pour des dommages moraux alléguant que la Défenderesse, après lui avoir donné comme seul motif du congédiement son manque de motivation, allégue maintenant dans sa défense multiples éléments d'insatisfaction.
 
La juge Alary rejette la réclamation pour ce chef de dommages, soulignant qu'un congédiement n'est jamais plaisant, pas plus qu'il n'est plaisant de prendre connaissance de doléances d'un employeur pour la première fois dans la défense, mais que cela n'est pas suffisant pour engendrer une condamnation à des dommages moraux:
[82]        Un congédiement, même réalisé dans les meilleures conditions, peut générer chez le travailleur de l’inquiétude et du stress. Cela ne peut cependant être indemnisé car il s’agit de la conséquence normale de l’exercice d’un droit. Ce qui peut être indemnisé est le comportement abusif, vexatoire, malicieux, ou empreint de mauvaise foi de l’employeur dans le cadre du congédiement.  
[83]        Dans l’arrêt Aksich précité, la juge Bich rappelle que les règles relatives à l'abus de droit s'appliquent en matière de rupture du contrat de travail. Si l'employeur abuse de la faculté de résiliation de l'article 2091 C.c.Q., le salarié peut alors réclamer, de façon distincte, la réparation du préjudice résultant de cet abus. Il doit s’agir d’une faute spécifique, génératrice de dommages, distincte de la simple résiliation du contrat sans motif sérieux. 
[84]        Il en est ainsi lorsque l'exercice du droit de congédier s'accompagne d'un comportement vexatoire, malicieux, empreint de mauvaise foi ou simplement d'une conduite abusive. 
[85]        Un employeur fait preuve d’abus de sa faculté de résiliation unilatérale du contrat de travail, notamment lorsqu’il agit de manière à nuire à l’employé. 
[86]        M. Lato se plaint surtout des allégations contenues à la défense produite par l’employeur. L’employeur y indique que le travail de M. Lato était insatisfaisant, qu’il n’était pas productif et qu’il était fréquemment absent du bureau.
[87]        L’employeur ne conteste pas que le travail de M. Lato était d’excellente qualité. Il a toutefois présenté une preuve tendant à démontrer l’existence de certaines insatisfactions à l’égard de M. Lato qui justifierait les circonstances de son congédiement. 
[88]        L’employeur indique qu’au cours de sa deuxième année d’emploi, il était souvent absent du bureau. Il soulève également que M. Lato produisait un nombre de rapports inférieur à celui de ses collègues de travail. L’impact économique de cela, pour l’employeur, n’a cependant pas été démontré. Enfin, l’employeur reproche à M. Lato de s’être brouillé avec un autre recherchiste, auquel il reprochait d’être trop près d’une jeune collègue. L’atmosphère de travail de l’ensemble du groupe en aurait été affectée.  
[89]        L’attitude de M. Lato, notamment dans ses relations avec ses collègues, ne plaisait pas à l’employeur qui jugeait que cela affectait négativement l’atmosphère de travail. Il s’est donc prévalu de son droit clair de mettre fin unilatéralement et sans motif à l’emploi.  
[90]        Bien que les allégations de la défense aient affectées le moral de M. Lato, il ne semble pas qu’elles lui aient nui directement dans sa recherche d’emploi. Aucun employeur potentiel ne semble en avoir eu connaissance ou les avoir soulevées comme un obstacle à l’embauche.  
[91]        Le Tribunal ne retient pas que l’employeur ait agi de mauvaise foi, qu’il ait voulu nuire à M. Lato ou qu’il ait commis une faute susceptible d’être compensée.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/11qbOJ6

Référence neutre: [2013] ABD 234
 

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