jeudi 9 mai 2013

Une décision récente de la Cour supérieure place la barre bien basse pour survivre à une requête en irrecevabilité en matière de levée du voile corporatif

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

Les tribunaux québécois sont constants sur la question, il faut faire preuve d'une très grande prudence avant de déclarer irrecevable une requête introductive d'instance au stade interlocutoire. Non seulement faut-il prendre les faits pour avérés, mais la partie défenderesse doit faire la preuve d'une absence totale d'allégation de faute. La décision récente de la Cour supérieure dans Diocèse canadien de la Sainte-Église apostolique arménienne c. Construction Exedra inc. (2013 QCCS 1883) illustre bien ce propos.


Dans cette affaire, la Défenderesse Faraya inc., unique actionnaire de la Défenderesse Construction Exedra inc., présente une requête en irrecevabilité à l'encontre du recours en dommages-intérêts des Demanderesses contre elle. Elle allègue que la requête introductive d'instance ne contient aucune allégation qui pourrait justifier la levée du voile corporatif et engager sa responsabilité.
 
Les Demanderesses soutiennent que leur requête introductive d’instance invoque l’abus de droit des Défenderesses comme fondement juridique de leur demande et que ces allégations sont suffisantes au stade de la requête en irrecevabilité.
 
Saisi de la requête en irrecevabilité, l'Honorable juge Clément Trudel souligne que, pour lever le voile corporatif, il faut formuler des allégués précis permettant cette conclusion. Il analyse donc les allégations suivantes des Demanderesses:
44. Exedra a été utilisé par les défendeurs Faraya et Alexandre Salameh afin de commettre des abus de droit justifiant ainsi la levée du voile corporatif et la responsabilité de Faraya; 
45. Les diverses inscriptions d’avis d’hypothèque légale des personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble avaient pour objectif délibéré de causer un préjudice aux demanderesses; 
46. Il appert que Exedra avait été payé en totalité, et même en surplus, pour les travaux effectués; 
47. Il n’existe aucune facture ou document pouvant justifier une créance de Exedra pour des travaux s’élevant à 493 000,00 $; 
48. À plusieurs occasions, les Demanderesses ont demandé à Exedra, par l’entremise de leurs procureurs, la ventilation et les pièces justificatives de la somme faisant l’objet des avis d’hypothèque légale des personnes ayant participé à la construction ou à la rénovation d’un immeuble P-9 et P-12, le tout tel qu’il appert des correspondances communiquées, en liasse, comme pièce P-15
49. En aucun temps, les défendeurs n’ont donné suite à ces demandes; 
50. Les défendeurs savaient donc pertinemment que l’inscription était faite abusivement et sans aucun droit; 
51. De plus, l’inscription du 20 mars 2012 est survenue quelques jours après la réception par Exedra d’une correspondance l’informant de la terminaison pour cause de toutes les ententes liant les parties; 
52. La conduite des défendeurs était guidée par un sentiment de vengeance et l’intention de causer un tort aux demanderesses, ce qui est survenu; »
Bien qu'il concède que les allégations formulées par les Demanderesses à l'égard de l'actionnaire unique sont bien minces, il en vient à la conclusion que, à ce stade, les paragraphes 44, 50 et 52 sont suffisants pour que l'action survive à une requête en irrecevabilité:
[31] A l’examen de ces allégations 44, 50 et 52, le Tribunal doit reconnaître qu’elles sont minimales, ténues et peu loquaces concernant la fraude et l’abus de droit, mais elles sont là. Sans l’invoquer expressément, les demanderesses tentent de mettre en cause la bonne foi des défendeurs Faraya et Salameh en affirmant qu’ils ont utilisé Exedra à des fins abusives justifiant la levée du voile corporatif et la responsabilité de Faraya (par. 44), qu’ils savaient avoir agi abusivement, sans droit (par. 50), par vengeance et avec l’intention de préjudicier (par. 52). 
[32] Cela étant, ces faits allégués devront éventuellement faire l’objet d’une preuve dont le Tribunal ne peut, à ce stade, ni apprécier la valeur probante ni jauger les chances de succès et le bien-fondé. Pour décider, le Tribunal estime que seule une preuve additionnelle ou une audition complète pourra permettre de trancher la question. 
[33] À tout bien considérer, le Tribunal juge que Faraya ne l’a pas convaincu du bien-fondé de son moyen d’irrecevabilité.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/ZUijb3

Référence neutre: [2013] ABD 185
 

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