Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.
Les lecteurs fréquents de notre blogue savent que nous discutons souvent de la possibilité de porter certains jugements interlocutoires en appel. Nous le faisons parce que la question revêt une très grande importance en pratique. C'est dans cette optique que nous traitons ce matin de la possibilité de porter en appel un jugement qui permet l'interrogatoire préalable d'un tiers et de l'affaire Savoie c. Compagnie pétrolière Impériale (2013 QCCA 848).
L'affaire se présente dans le contexte d'un recours collectif déjà autorisé. La Requérante recherche la permission d'en appeler d'un jugement qui a permis aux Intimées de procéder à l'interrogatoire préalable d'un tiers en vertu de l'article 397 (4) C.p.c.
La Requérante soumet que le jugement en question est le fruit d'une manœuvre dilatoire des Intimées qui cherchent à empêcher le cheminement diligent du recours collectif. Elle souligne en outre que l'interrogatoire préalable de ces personnes, qui ne seraient pas des tiers au sens de l'article 397 , paragr. 4, C.p.c., ne serait pas nécessaire à la préparation de la défense des Intimées.
Saisie de cette requête, l'Honorable juge Marie-France Bich en vient à la conclusion qu'il ne s'agit pas d'un jugement susceptibe d'appel immédiat, à moins qu'il ne retarde indument l'instance. Or, en l'espèce, la juge Bich est d'opinion que le jugement ne cause pas de retard indû:
[10] En l'espèce, certainement, le jugement de première instance, qui n'est nullement visé par le second alinéa de l'article 29 C.p.c., n'est pas non plus de ceux que visent les deux premiers paragraphes du premier alinéa du même article. Il ne s'agit en effet ni d'un jugement qui « décide en partie du litige » ni d'un jugement qui « ordonne que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne pourra remédier », au sens que la jurisprudence, et notamment l'arrêt Elitis Pharma, donne à cette expression (voir paragr. 16-17 de cet arrêt).
[11] S'agirait-il cependant d'un jugement qui a pour effet de « retarder inutilement l'instruction du procès » ou encore le cheminement de l'instance? J'estime que ce n'est pas le cas. Sur le plan pratique, un simple coup d'œil au plumitif de première instance révèle que l'on est fort loin du procès (la défense n'a pas encore été produite) et la tenue des interrogatoires en cause n'est pas de nature à influer sur la date à laquelle il pourra avoir lieu. On est même encore très loin de la mise en état dont il était question dans l'arrêt Boutique Linen Chest, précité. Le jugement de première instance ne retarde donc pas la tenue du procès et pourrait, au contraire, s'avérer utile au cheminement de l'affaire (voir infra). Le jugement de première instance ne retarde pas non plus le déroulement de l'instance en tant que telle, pas en substance en tout cas – et ce ne sont pas les quelques jours supplémentaires qu'on pourrait peut-être lui devoir qui peuvent changer cette conclusion.
[12] De toute façon, si même retard, ou plutôt délai, il y avait, il ne serait pas indu. La requête introductive d'instance re-précisée rapporte les propos de MM. Théberge et Montreuil et en fait, pour partie, l'assise d'une inférence de la collusion que l'on reproche aux intimées, qui auraient de concert fixé le prix de l'essence à la rampe. La requérante elle-même, ainsi que le révèle son propre interrogatoire préalable, n'est pas en mesure de témoigner des éléments de la collusion dont elle fait grief aux intimées, collusion qu'elle déduit de certaines déclarations de MM. Théberge et Montreuil. L'existence et la teneur de ces déclarations paraissent donc bien être au cœur du débat (sans doute ne s'agit-il pas du seul élément, mais il compte) et, en vue de préparer leur défense, il est nécessaire que les intimées soient autorisées à en interroger les auteurs. En cela, la démarche ne saurait être considérée comme engendrant un retard au sens du troisième paragraphe du premier alinéa de l'article 29 C.p.c.
Référence neutre: [2013] ABD 193
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