dimanche 5 mai 2013

Dimanches rétro: L'amendement qui vise à réduire les dommages réclamés pour éviter la tenue d'un interrogatoire peut être contesté avec succès

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'amendement est la règle, c'est vrai. Mais il existe des exceptions, par exemple lorsqu'il en résulte une toute nouvelle cause d'action ou lorsque l'amendement est inutile. C'est cette dernière possibilité qui nous intéresse aujourd'hui. En effet, les tribunaux québécois ont souvent rejeté des amendements pour réduire une réclamation en dommages au motif qu'un tel amendement était inutile puisque la Cour pouvait tout simplement accorder moins que le montant réclamés. C'est particulièrement vrai quand l'amendement semble être fait pour une raison stratégique comme dans l'affaire Gagnon c. Bédard (2008 QCCQ 762) où la partie demanderesse tente de se soustraire à un interrogatoire préalable.
 

Dans cette affaire, la Demanderesse chercher à amender sa réclamation pour la réduire de 25 233,13 $ à 24 999 $ de toute évidence pour ne pas avoir à se soumettre à un interrogatoire préalable. Les Défendeurs contestent donc cet amendement.
 
Saisi de cette requête, l'Honorable juge Pierre Coderre la rejette, soulignant qu'est inutile un amendement qui réduit le montant d'une action en dommages et qu'il lui apparaît évident que le seul motif de l'amendement est pour la Demanderesse d'éviter d'avoir à se soumettre à un interrogatoire préalable:
[23] Dans l’affaire Vitrerie Laberge inc. c. Cediko Asselin Lombardi inc. monsieur le juge R. Peter Bradley, J.C.Q., affirme ceci à cet égard :
[16] Bien que l'amendement soit la règle et le refus d'amender l'exception, il est établi que la règle doit recevoir une interprétation large et libérale, malgré qu'elle sera mise de côté dans le cas où l'amendement serait inutile. 
[17] Or, un amendement visant à réduire la réclamation d'une partie demanderesse est considéré comme un amendement inutile selon l'article 203 du Code de procédure civile, car le Tribunal peut toujours accorder moins que ce qui est demandé [2736-9230 Québec inc. c. British Aviation Insurance Group (Canada) Ltd, C.S. 200-05-001929-939, le 1er mai 1998 ( J.E. 98-1256 )].
[24] Dans son jugement monsieur le juge Bradley se base, entre autres, sur l’affaire 2736-9230 Québec inc. c. British Aviation Insurance Group (Canada) Ltd dans laquelle madame la juge Julie Dutil, alors qu’elle était à la Cour supérieure, a écrit ceci sur le même sujet :
La défenderesse, British Aviation Insurance Group (Canada) Ltd, présente une requête afin d’obtenir la révision d’une décision rendue par le greffier spécial autorisant la demanderesse, 2736-9230 Québec inc., à réamender les allégations et les conclusions de sa déclaration afin de diminuer sa réclamation de 84 713,46 $ à 69 449,32 $. 
La défenderesse soumet que la décision du greffier spécial est mal fondée puisque la demande de réamendement est une procédure inutile en vertu de l’article 203 C.p.c. 
[…] 
En l’espèce, la demanderesse désire réduire le montant de ses dommages. 
Les tribunaux se sont prononcés à plusieurs reprises sur cette demande d’amendement qui peut être qualifié de retraxit ou désistement partiel. Dans l’affaire Commission du salaire minimum c. Kastner[(1975), R.P. 297], M. le juge Maurice Jacques faisait la distinction entre l’amendement retraxit et le désistement partiel :
« Le retraxit ne peut s’interpréter comme un désistement d’une procédure puisque suivant l’artice 262 C.p.c., ce désistement ne peut être partiel. Cet article prévoit qu’une partie peut se désister de sa demande ou de son acte de procédure.
Par ailleurs, il pourrait s’agir d’un amendement à la déclaration. Cependant, l’article 203 C.p.c., prévoit que nul amendement ne sera admis qui serait inutile. En effet, la cour peut toujours accorder moins qu’il n’est demandé dans les conclusions de l’action. Comme cet amendement, s’il avait été fait dans la forme appropriée, aurait été inutile, il s’ensuit qu’il n’aurait pu être admis. »
Dans l’affaire Kenneth Irving c. Jean Leclerc [200-05-001202-808, le 30 septembre 1985], M. le juge Jean Richard rejetait une requête verbale pour produire une déclaration amendée dont l’une des modifications était une réduction du quantum réclamé de 75 500 $ à 32 000 $. 
M. le juge Richard rejette la requête en s’exprimant ainsi :
« Cette réduction du quantum, que le procureur du demandeur qualifie de « retraxit » n’est pas prévue à notre Code de procédure civile. C’est de fait un désistement partiel d’une demande et seul le désistement total existe dans notre droit.
Il qualifie de plus cet amendement d’inutile puisque le tribunal peut accorder moins que ce qui est demandé dans les conclusions.
M. le juge Jean-Marie Brassard, dans l’affaire Canadian Imperial Bank of Commerce c. Knitrama Fabrics Inc. [ J.E. 82-882 ], conclut lui aussi au rejet d’une demande d’amendement ayant pour effet de réduire le montant des dommages réclamés de 635 000 $ à 35 000 $. Il qualifie cet amendement d’inutile puisque l’action peut être maintenue seulement pour la somme de 35 000 $. 
Le tribunal est d’opinion qu’il s’agit, en l’espèce, d’une demande d’amendement inutile et donc irrecevable. En effet, lors du procès, le tribunal pourra attribuer moins que les dommages demandés, selon la preuve qui lui sera alors présentée.
[25] Dans le présent dossier, les faits démontrent que la demanderesse a pris son recours pour réclamer 25 233,13 $ et les pièces à l’appui de la demande sont au même montant. Ce n’est qu’à la suite du projet d’entente sur le déroulement de l’instance soumis à la partie défenderesse que la procureure de celle-ci a constaté que le procureur de la partie demanderesse n’a pas prévu un interrogatoire au préalable avant défense. Elle lui écrit pour requérir l’inclusion de cet interrogatoire dans le projet d’entente. Il répond par une demande d’amendement, réduisant sa réclamation sous les 25 000 $ pour qu’il n’y ait pas d’interrogatoire au préalable, tel que le prévoit l’article 396.1 C.p.c. 
[26] Le tout s’est fait au même moment où le dossier est transféré du district d’Iberville au district de Québec, l’ensemble des parties ayant leur domicile dans ce district. Seul le procureur de la demanderesse réside à St-Jean-sur-Richelieu, dans le district d’Iberville. 
[27] Tel que l’établit la jurisprudence précitée, le juge qui entendra le dossier au mérite pourra décider, s’il y a lieu, de réduire le montant réclamé. Par ailleurs, la demande d’amendement, telle que formulée, est dans l’objectif évident où elle a été formulée, inutile et contraire aux intérêts de la justice selon les termes de l’article 200 C.p.c.
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/ZzuQNw

Référence neutre: [2013] ABD Rétro 18

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