lundi 20 mai 2013

Contrairement à ce que suggère le libellé de l'article 1632 C.c.Q., la présomption d'intention de frauder qui y est stipulée est réfragable

par Karim Renno
Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l.

L'article 1632 C.c.Q. prévoit que le "[...] contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable". L'article 2847 C.c.Q., pour sa part, indique que les faits réputés créent une présomption irréfragable. Est-ce donc dire qu'il n'est pas possible de repousser la présomption d'intention de frauder stipulée à l'article 1632? Pas selon le jugement rendu par l'Honorable juge Henri Richard dans 3087-4036 Québec inc. (Portes unies St-Michel 1993) c. 4229177 Canada inc. (2013 QCCQ 4349).


Dans cette affaire, la Demanderesse intente une action en inopposabilité pour que soit déclarée inopposable à son égard un acte de vente intervenu entre les Défenderesses. Une des Défenderesses conteste l'action et elle invoque sa bonne foi.
 
Le problème pour la Défenderesse est que sa cocontractante (l'autre Défenderesse) connaissait son état d'insolvabilité, de sorte que l'article 1632 C.c.Q. trouve application et qu'il implique, selon le libellé de l'article 2847 C.c.Q., une présomption irréfragable d'intention de frauder.
 
Or, le juge Richard, citant des autorités à l'appui, indique que, nonobstant le libellé des articles 1632 et 2847 C.c.Q., il est effectivement possible de repousser la présomption d'intention de frauder et établir sa bonne foi:
[33]        Cependant, les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina sont d’avis que « c’est sans doute par inadvertance que le législateur n’a pas saisi le lien apparent entre l’emploi du terme « réputé », comme dans l’ancien Code, et la nouvelle disposition qui présente désormais une définition légale de ce terme. Le maintien du droit antérieur n’est d’ailleurs pas dénué de logique. ». De plus, ces auteurs ajoutent : « En outre, il n’est pas certain que la définition légale de l’article 2847 soit contraignante; elle peut se concevoir comme une disposition interprétative que le juge pourrait écarter lorsque le contexte le veut. Il nous semble donc permis de conclure que tout en permettant de faire tomber la présomption générale de bonne foi établie par l’article 2805, la connaissance de l’insolvabilité du débiteur par le tiers n’empêche pas ce débiteur de faire la preuve de sa bonne foi ». 
[34]        La position de ces auteurs est reprise avec approbation par la majorité de la Cour d’appel, sous la plume du juge André Forget, dans Banque Nationale du Canada c. S.S. (« Banque Nationale du Canada »). Les passages suivants méritent d’être soulignés :
« [54]   S'il fallait retenir l'interprétation suggérée par la Banque, il faudrait conclure que tout paiement qui entraîne l'insolvabilité du débiteur, à la connaissance du créancier, serait nécessairement «frauduleux» même s'il est fait dans le cours ordinaire des affaires.[…]  
[56]      Il est vrai que le ministre ajoute que les «exigences de la bonne foi sont resserrées» et que «la connaissance de l'état d'insolvabilité, atteinte ou recherchée, du débiteur constitue désormais un obstacle à la bonne foi»; par contre, il précise que «comme dans le passé, il (l'article 1632 C.c.Q.) préserve les droits du tiers de bonne foi qui a fourni valeur, en contrepartie du contrat ou du paiement».  Si la présomption est irréfragable, je ne peux voir comment les droits du tiers de bonne foi seront protégés et je ne peux davantage comprendre pour quelle raison le législateur décréterait, de façon incontestable, qu'un créancier est de mauvaise foi alors que ce n'est manifestement pas le cas et qu'il est en mesure de le démontrer. 
[57]      Il est certain que le tribunaux doivent respecter l'intention du législateur (sauf évidemment si la validité de la loi est contestée) lorsqu'elle est clairement exprimée, ce qui ne me semble pas être ici le cas.  Certes, il eût été préférable – comme le soulignent certains des auteurs précités – que la clarification ait été apportée par le législateur afin de maintenir une interprétation cohérente de l'article 2847 C.c.Q.  Toutefois, cela n'a pas été fait. 
[58]      Quoi qu'il en soit, s'il subsiste une ambiguïté à l'article 1632 C.c.Q., je préfère maintenir le droit du créancier de bonne foi, plutôt que de l'en priver injustement. 
[59]      Enfin, il faut le rappeler, selon l'article 1631 C.c.Q. - qui établit les paramètres de l'action en inopposabilité – le créancier qui subit un préjudice doit prouver l'intention frauduleuse de son débiteur et, par implication nécessaire, la mauvaise foi du tiers.  Or, je suis incapable de conclure que S... S... était de mauvaise foi. »
[35]        Dans l’état actuel du droit québécois, même si 422 a connaissance de l’insolvabilité de Sopra au moment de signer l’acte attaqué du 24 octobre 2006, elle peut contrer l’action en inopposabilité de PUSM en démontrant sa bonne foi. Qu’en est-il ?
Le texte intégral du jugement est disponible ici: http://bit.ly/10OeMrB

Référence neutre: [2013] ABD 199

Autre décision citée dans le présent billet:

1. Banque Nationale du Canada c. B.(C.), 2000 CanLII 11303 (C.A.).

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